Dans cette note de veille de janvier, nous vous proposons un tour d’horizon des techniques de neuromarketing et de leurs applications.
Note réalisée par Alexandre BERTIN – Responsable Veille & Prospective chez UNITEC
En 1956 ouvrait, à la sortie de la ville de Minneapolis aux Etats-Unis, le premier centre commercial moderne indoor[1] imaginé par un architecte, Victor Gruen, qui va alors changer la face de l’histoire moderne de la consommation occidentale. Cette première pierre de ce qui va devenir la consommation de masse, est rapidement associée à de nouvelles techniques de vente basées sur la communication : le marketing. L’objectif est simple : il s’agit de détecter les besoins des consommateurs pour réaliser le produit adéquat pour en faciliter la vente. Le binge shopping, ce phénomène psychologique d’achat compulsif que l’on retrouve lors des périodes de soldes exceptionnelles comme le Black Friday et le Cyber Monday ou la fête des célibataires en Chine en est l’un des résultats. En jouant sur le côté exceptionnel de ces ventes et en renforçant le sentiment d’urgence[2], les enseignes misent sur nos émotions et nos impulsions pour nous convaincre d’acheter. C’est le travail du marketeur dont le rôle consiste à étudier les attitudes des individus pour proposer des offres adaptées et augmenter la consommation.
Le neuromarketing : une réponse aux limites du marketing traditionnel ?
Depuis des dizaines d’années les techniques pour révéler les préférences sont mises en œuvre mais souffrent de limites inhérentes aux individus : biais cognitifs, préférences non déclarées, décisions non rationnelles … des millions de dollars sont dépensés annuellement en vain rendant les études marketing traditionnelles peu fiables conduisant à des échecs cuisants. C’est en partie la raison pour laquelle, on assiste au milieu des années 2000, à l’émergence de nouveaux outils situés à la frontière entre les neurosciences et le marketing. L’objectif de cette nouvelle approche est d’utiliser les technologies modernes de connaissance du cerveau pour mieux comprendre comment chaque individu prend ses décisions de consommation. Le neuromarketing connait depuis un succès fulgurant, redessinant les campagnes de communication des grandes marques et permettant à de nombreuses entreprises de proposer des services basés sur une connaissance approfondie de notre cerveau. Ce succès s’accompagne cependant d’un certain nombre de controverses qui font que ces méthodes prêtent aussi le flanc à la critique.
Vers une approche scientifique du marketing
Inventé en 2002 par Ale Smidts, le terme neuromarketing peut être défini comme l’utilisation de techniques d’identification des mécanismes cérébraux permettant de comprendre le comportement des consommateurs, afin d’améliorer les stratégies marketing. Selon Bruno Teboul, il est important de bien différencier neuromarketing et neurosciences de la décision. La première étude qui fit sensation émane de Read Montague qui montra en 2004 qu’il existait un biais chez le consommateur qui ne choisissait pas un produit (en l’occurrence une marque de soda) en fonction de ses goûts mais en fonction de paramètres extérieurs comme l’image de la marque et des expériences passées : en d’autres termes, le consommateur n’exprimerait pas rationnellement ses goûts et il serait mû par des émotions qu’il ne contrôle pas. Toutes les études depuis lors ont confirmé cette hypothèse, certaines allant même jusqu’à identifier, à l’aide de l’imagerie médicale, un « bouton d’achat» présent dans le cerveau humain, une zone identifiable à l’origine de la pulsion d’achat. Ces premières études fondent le neuromarketing et généralisent l’usage des outils des neurosciences.
Les outils des neurosciences à disposition
Afin de mieux comprendre comment le cerveau réagit face à des sollicitations extérieures, les marketeurs ont recours aux dispositifs modernes de la médecine, à savoir :
- L’imagerie à résonance magnétique fonctionnelle (IRMf) est une technique qui révèle l’activité neuronale en détectant les variations d’oxygène dans le sang, permettant de localiser les différentes zones du cerveau réagissant à des stimuli. Cette technique permet de confronter les préférences déclarées avec les mécanismes cognitifs en jeu. C’est ce que propose TruthSayers avec son produit BrainLink qui a permis à une marque de modifier entièrement le packaging d’un de ses produits pour créer un véritable sentiment d’appartenance chez les clients.
- L’électroencéphalographie (EEG) mesure les ondes émises par le cerveau lors de stimuli. La principale limite de la méthode est son incapacité à spatialiser le signal ; il est donc difficile de déterminer quelles sont les structures cérébrales réactives aux stimuli. Pourtant des entreprises proposent ces solutions comme NeuroInsights, BitBrain ou Neurolize.
- La tomographie par émission de positons (TEP) est une méthode plus invasive puisqu’il s’agit d’introduire un atome radioactif dans le cerveau. Le raclopride par exemple permet de visualiser l’activité synaptique liée au récepteur de la dopamine, molécule impliquée dans la sensation de plaisir. Cette méthode est cependant très peu utilisée à cause de ce côté invasif.
- La magnétoencéphalographie (MEG) qui est basée sur la cartographie du champ magnétique créée par l’activité des neurones. Comme l’EGG, cette méthode rencontre des difficultés de spatialisation liées à tout ce que doit traverser le courant électrique et s’avère trop couteuse pour être utilisée.
- L’oculométrie (eye tracking) est un ensemble de techniques permettant l’enregistrement des mouvements des yeux. Elle permet de mieux comprendre les motivations et freins que peuvent avoir les consommateurs face à un produit par exemple. Cette technique a montré que la présence de bébé dans une publicité augmentait l’empathie du consommateur mais risquait aussi de détourner ce dernier du message publicitaire. Les Français de Datakalab ou les Anglais de Lumen utilisent ces technologies pour proposer des services liés à l’économie de l’attention.
- L’électromyographie faciale permet, grâce à des petites aiguilles placées sur les muscles du visage de détecter les micro-expressions faciales qui sont à peine visibles et souvent inconscientes. Ces micro-expressions permettent de comprendre si les émotions sont positives ou négatives. Biopac System France propose des kits EMGf aux agences marketing.
Nos émotions ont une valeur marchande !
Le commerce électronique est l’un des principaux moteurs de la croissance du marché du neuromarketing et utilise plus particulièrement l’oculométrie ce qui en fait la technique qui croît le plus. De nombreux acteurs sont aujourd’hui présents sur ce secteur très lucratif. De grandes entreprises comme Google ou Facebook investissent dans le neuromarketing tandis que les médias sociaux utilisent des stratégies liées au neuromarketing, à l’image des likes sur Facebook ou Instagram véritables récompenses de fidélité qui activent la dopamine dans notre cerveau et nous rendent addict.Ces nouvelles techniques semblent probantes dès lors que l’on considère, comme le montre bon nombre d’études, que 90% de l’information traitée par notre cerveau l’est de manière non consciente. Elles permettraient d’augmenter significativement les taux de conversion sur les sites marchands, de rendre plus visible la proposition de valeur de l’entreprise, de redéfinir les codes du packaging ou améliorer le design des produits et de leur packaging. Mais l’utilisation de ces techniques soulèvent de nombreuses critiques. Pour certains, ces méthodes vont trop loin – on pense notamment aux commerces qui diffusent des odeurs plaisantes afin d’inciter les clients à acheter plus, d’autres questionnent la moralité d’utiliser des techniques très couteuses et destinées en premier lieu à traiter des maladies graves à des fins mercantiles. Des chercheurs n’hésitent pas à brandir l’argument d’une manipulation psychologique et insidieuse des masses là où d’autres mettent en avant les raisonnements fallacieux qui rendent la conclusion d’une expérience très dépendante des postulats métaphysiques, moraux et sociaux du chercheur. Malgré ces critiques, les signaux économiques sont au vert pour les entreprises qui proposent des solutions liées au neuromarketing. Selon Market Research Future (MRFR), le marché mondial des technologies de neuromarketing attendrait 100 millions de dollars d’ici 2023, avec un taux de croissance annuel de 12% (entre 2017 et 2023). Ce qui promet encore de belles années pour le neuromarketing.
[1] En 1954, Gruen fit édifier le premier centre commercial de l’histoire à Detroit mais celui-ci était à ciel ouvert.
[2] Cinq biais cognitifs peuvent expliquer les comportements des consommateurs lors du Black Friday.
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