Parmi les mesures les plus spectaculaires qui ont été adoptées par la Corée du Sud lors de la pandémie, l’utilisation des technologies et des outils numériques fait figure d’exemple.
L’arsenal déployé par la Corée du Sud n’est pas étonnant au regard de la politique d’innovation dans les technologies et dans le numérique depuis plus de 20 ans.
Un arsenal technologique puissant et efficace
Les autorités coréennes n’ont pas hésité, dès l’apparition des premiers cas en Chine et dans le pays, à déployer tout un ensemble de technologies numériques susceptibles de contrecarrer la diffusion de la maladie dans le pays en axant sur le traçage et la surveillance des cas positifs. L’utilisation de la géolocalisation, du traitement des données personnelles, des capteurs ou même des robots ont permis de circonscrire la maladie très rapidement.
TRAÇAGE ET SURVEILLANCE NUMÉRIQUE
Le traçage numérique sert à remonter les chaînes de transmission passées (afin d’identifier toutes les personnes ayant été en contact rapproché avec le malade). La surveillance numérique permet une surveillance en temps réel des individus placés en quarantaine. Pour ce qui concerne le traçage numérique, le processus s’opère comme suit :
- identification des personnes qui se sont trouvées à moins de 2 mètres d’un cas confirmé un jour avant que l’individu n’ait commencé à présenter des symptômes ;
- approfondissement du processus d’identification en fonction des conditions de l’interaction entre les individus.
Le gouvernement utilise deux méthodes pour effectuer ce traçage : par les données de géolocalisation téléphonique qui sont collectées et anonymisées et mises à disposition en open data. Les entreprises peuvent les utiliser pour alimenter leurs applications d’alerte que les citoyens vont télécharger. Si un lieu a été fréquenté par une personne infectée, l’utilisateur, de l’application recevra une notification et pourra décider de se placer en quarantaine.
via futura-sciences.com
Cependant, la qualité du signal, le GPS, n’est ni très fiable (notamment dans les espaces fermés ou souterrains) ni très précise. L’information partagée ne permet pas, par ailleurs, à l’utilisateur de savoir si le contact a été prolongé ou rapproché. La deuxième méthode repose sur les relevés de cartes bancaires qui sont plus précis que les coordonnées GPS : environ 80 % des transactions en Corée sont désormais effectuées par paiement en carte bancaire. Dans ce cas, les autorités travaillent avec les sociétés de cartes bancaires : les premières fournissent les informations portant sur un utilisateur avec la date de ses premiers symptômes, et les sociétés renvoient ses données bancaires[1]. En s’appuyant sur les transactions par carte de crédit, la géolocalisation mobile et les caméras de surveillance, les autorités sanitaires peuvent désormais retracer le parcours des personnes infectées en quelques minutes.
Les personnes se trouvant à proximité d’un lieu visité par le patient reçoivent les noms des arrêts de bus, des magasins ou encore restaurants concernés directement sur leur smartphone par message. Par ailleurs, le site internet coronamap.site est une initiative privée qui permet de localiser les personnes contaminées.
LES AUTRES MOYENS DE CONTRÔLE UTILISÉS
Toutefois, cet arsenal de mesures n’a pas empêché certains malades de la Covid-19 de braver les interdictions de déplacement malgré l’obligation de quarantaine. Le gouvernement a donc décidé, mi-avril, de déployer un bracelet électronique permettant de surveiller si les consignes d’isolement étaient ou non respectées. Ce bracelet, connecté par bluetooth à une application de tracking des déplacements, permet de prévenir les autorités dès lors qu’un individu placé en quarantaine s’éloigne de son smartphone. L’idée est de contrer le comportement de certains patients qui malgré la quarantaine laissaient leur smartphone chez eux pendant qu’ils sortaient. L’application alerte les autorités sanitaires si le contrevenant s’éloigne à plus de 10 mètres de son smartphone ou s’il est endommagé . Par ailleurs, le bracelet est équipé de capteurs qui relèvent de manière passive deux fois par jour la température de la personne qui le porte . Les données sont collectées et envoyées vers les autorités de contrôle qui peuvent alors prendre les mesures adéquates. Même si 80% de la population coréenne approuve un tel dispositif et sa généralisation à tous les malades, ce bracelet est destiné aux personnes ayant déjà enfreint la loi et acceptant sa pose.
Le 10 juin dernier, craignant l’apparition de nouveaux foyers d’infection dans des lieux à forte fréquentation (bar, salles de cinéma, salles de sport, lieux de culte …), les autorités coréennes ont mis un place un QR Code que les personnes téléchargent sur leur téléphone portable et scannent lors de leur arrivée sur le lieu concerné. Ce signalement est alors enregistré pour quatre semaines et permet aux services de santé d’alerter les personnes si un individu malade a été potentiellement en contact avec elles. L’objectif est d’accélérer la détection des cas suspects afin de casser au plus vite les chaînes de transmission, la priorité étant alors d’isoler les malades ou les personnes les ayant fréquentés le temps de se faire dépister. Contrairement au bracelet qui a été critiqué par les défenseurs des libertés, la mise en place du QR Code n’a soulevé aucune protestation, la population étant particulièrement en phase avec les décisions du gouvernement souvent approuvées pour la très grande majorité.
Peu de temps avant le lancement du QR Code, une autre initiative n’a pas manqué d’attirer l’attention du monde entier et plus particulièrement des plus technophiles. L’opérateur SK Telecom et le constructeur japonais Omron Electronics ont imaginé un robot patrouilleur qui contrôle la température des personnes qu’il croise (et alerte les autorités sanitaires si celle-ci dépasse 37,5°C) et contrôle si les masques sont bien portés ou non. Autres fonctions, le robot est capable de désinfecter entièrement une pièce et de distribuer de la solution hydroalcoolique aux passants. Pour l’heure, le robot est en phase de test dans les locaux de SK Telecom et de Omron Electronics mais les coréens devraient rapidement croiser dans les aéroports ou les halls de gare ces nouveaux compagnons. La Corée étant véritablement une terre de robot.
SK Telecom Robot
Innovation et technologies dans la culture coréenne
Cette stratégie de lutte contre la pandémie qui met fortement l’accent sur la déploiement des technologies numériques n’est pas surprenante dans un pays comme la Corée du Sud. En effet, les gouvernements qui se sont succédés depuis la fin des années 90 ont bâti une politique hautement technophile afin de combler le retard du pays dans un premier temps pour ensuite faire de lui un leader mondial en la matière.
En 2003, le CERI, montre, dans une étude, que la stratégie de la Corée du Sud depuis des années lui a permis de devenir le pays le plus connecté[2], “Internet étant appréhendé non seulement comme un réseau physique mais aussi comme un levier de transformation de la vie économique et sociale du pays”. La Corée devient alors l’incarnation d’un nouveau modèle de développement fondé sur “ une « révolution informationnelle » entendue comme un processus remodelant à un rythme rapide les fondements matériels de l’ensemble d’une société.”
Comme le souligne Christian Milelli, auteur de l’étude, « cette situation doit beaucoup au rôle de l’Etat qui est non seulement l’architecte d’un grand dessein national, mais aussi l’artisan de la transformation du cadre d’action et du contexte afin que les différents agents disposent d’une certaine marge de manœuvre pour déployer leurs stratégies.”
UNE POLITIQUE D’INVESTISSEMENT AGRESSIVE
Pour cela, l’Etat a mené toute une série d’investissement lourd dans le domaine de l’information et de l’infrastructure des réseaux. La Korea Information Infrastructure Initiative mise en place en 1994 par l’Agence nationale pour la société de l’information a été le point de départ de la stratégie coréenne de déploiement de l’infrastructure nécessaire à la montée en puissance de l’économie de l’information et de la littératie digitale. En 2000, l’Etat a mis en place un programme de sensibilisation de masse dénommé Ten Million People Internet Education touchant plus de 14 millions de Coréens. Résultat : plus de 4 millions de personnes qui été en marge de la société de l’information ont ainsi “raccroché les wagons”, notamment les femmes aux foyers considérées en Corée comme prescriptrices des usages puisque contrôlant les budgets et les grandes orientations de leur ménage.
Yongsuk Jang, STI in History, Evolution of Korean STI Policies, STI Policy Review, vol.2, n° 2, Séoul, 2012
On peut bien entendu remonter dans le temps pour étudier les politiques liées aux technologies comme dans le tableau ci-dessus, mais c’est véritablement le mandat du président Lee Myung-bak (2008-2012) qui a mené la Corée du Sud à sa position actuelle de leadership. Très rapidement, le gouvernement en place a développé des stratégies agressives dans différents domaines (on pense notamment à la croissance verte) mais c’est à l’innovation que nous nous intéresserons.
L’initiative 577 lancée dès 2008 porte sur 7 grands domaines technologiques innovants : technologies industrielles clés (automobile, construction navale, machines et procédés de fabrication, semi-conducteurs…), technologies industrielles émergentes (en santé principalement), technologies fondées sur la connaissance (logiciels, systèmes…), technologies menées par l’État (transport, espace…), technologies relevant de questions nationales (maladies infectieuses, efficacité énergétique), technologies répondant aux défis sociétaux (santé, énergies renouvelables) et technologies de base et convergentes (nanotechnologies, biocapteurs, robots intelligents). La mise en œuvre de la stratégie repose sur deux agences : l’agence nationale de la recherche (National Research Foundation, NRF) dotée d’un budget équivalent à 1,5 million d’euros, majoritairement dévolu à la recherche fondamentale. Et le Korean Institute for the Advancement of Technology (KIAT) affecté au financement de programmes de R & D dans lesquels sont impliquées des petites et moyennes entreprises (PME) coréennes, que ce soit en Corée ou à l’étranger.
En 2016, la Corée du Sud a redéfini ses axes stratégiques d’innovation considérés comme moteurs de la croissance économique à savoir : Intelligence Artificielle, Véhicules autonomes, Matériaux légers, Ville intelligente, Réalité virtuelle. En 2018, une nouvelle orientation est donnée à la politique d’innovation en privilégiant : l’hyper-connectivité, les usines intelligentes, les fermes intelligentes, la fintech, les nouvelles énergies, les villes intelligentes, les drones et les voitures du futur. Et afin de favoriser cette transformation par l’innovation, le gouvernement supportera trois secteurs en particuliers : la gestion des données, les technologies intelligentes basées sur l’intelligence artificielle et l’économie de l’hydrogène.
Toutes ces politiques d’investissement massif dans l’innovation et les nouvelles technologies ont permis au pays de se classer à la première place de l’Indice d’Innovation Bloomberg lors des six premières éditions n’ayant été détrônée que par l’Allemagne en 2020.
Mais la Corée du Sud devrait rapidement regagner sa première place eu égard à sa position sur la technologie 5G. En avril 2019, la Corée a été le premier pays au monde (d’une courte tête devant les Etats-Unis) à déployer cette nouvelle technologie de télécommunication appelée à bouleverser notre quotidien. Samsung et LG ont ainsi été les premiers à commercialiser des smartphone compatibles 5G. 15 mois plus tard, ce ne sont pas moins de 6,7 millions de Coréens qui sont abonnés à la 5G soit par l’opérateur SK Telecom (environ 3 millions d’abonnés), KT Corp. (2 millions d’abonnés) ou LG Uplus Corp. (1,7 million).
L’histoire économique de la Corée du Sud montre que les technologies ont été, depuis les années 60, un vecteur de progrès pour la société coréenne dans son ensemble et pour chacun des citoyens. Les technologies numériques ont ainsi permis à tout un chacun d’avoir accès plus facilement à la société de l’information et d’y être beaucoup plus fortement inclus. En échange de ces progrès, les Coréens acceptent une intrusion plus grande des pouvoirs publics dans leur quotidien, contrairement à la France où le débat sur l’application Stop Covid (qui a connu un véritable fiasco) a longtemps occupé le devant de la scène médiatique, en raison de la possibilité pour le gouvernement d’aspirer les données personnelles des utilisateurs à leur insu.
La censure d’internet à travers le monde
En matière de protection des données personnelles, la Corée possède une autorité de protection des données le Personal information Protection Commission qui n’est pas une structure indépendante mais reste sous le contrôle du Ministère de l’Intérieur coréen. En 2011, le gouvernement a promulgué le Personal Information Protection Act considéré comme l’un des systèmes les plus drastiques en matière de contrôle des données personnelles. Ces dernières comprennent le nom, le numéro d’identification national, la voix, l’image et toutes les autres informations qui en font possible d’identifier une personne en particulier. En janvier 2020, un amendement à la loi permet l’utilisation et la divulgation de données personnelles sans obtenir le consentement des personnes concernées «dans un cadre raisonnablement lié à l’objectif initial de la collecte» et «après avoir examiné si les droits de la personne concernée seraient violés et/ou si des mesures visant à garantir l’intégrité des informations personnelles ont été correctement prises».
Notes :
[1] La législation coréenne prévoit en temps normal que l’accès à ce type d’information nécessite l’approbation du tribunal ou le consentement individuel. En cas de crise sanitaire, le consentement individuel n’est plus obligatoire. Le KCDC est légalement autorisé à s’affranchir de cette étape. L’article 76-2 de la « loi sur le contrôle et la prévention des maladies infectieuses » stipule que, si cela est nécessaire pour prévenir les maladies infectieuses et enrayer la propagation du virus, le ministère de la Santé et le KCDC peuvent demander aux agences administratives, aux gouvernements locaux, aux institutions publiques, aux institutions médicales, aux entreprises, aux organisations et aux individus de fournir des informations personnelles sur les cas confirmés et suspects (y compris des informations relatives aux déplacements des patients).
[2] En 2003, 70% des ménages corééens étaient connectés à internet contre 22% des ménages américains. Le Haut Débit concernait à ce moment-là 94% des connexions !
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« Un cas particulier (en Corée du Sud) dû à son histoire récente »