Depuis plusieurs années, les pays occidentaux connaissent une chute de leur taux de fécondité, les faisant passer sous le seuil de renouvellement des générations.
Si la France (1,92 enfant par femme en 2018) fait figure de bonne élève en Europe, le tableau n’est guère réjouissant ailleurs puisque le taux moyen atteint péniblement 1,6 enfant par femme alors qu’il en faudrait 2,1 pour assurer un renouvellement endogène de génération. Aux États-Unis, 3,79 millions de bébés sont nés en 2018, le chiffre le plus bas depuis 32 ans !
Trois facteurs peuvent, en partie, expliquer cette tendance : le recul de l’âge moyen au premier enfant, dû à l’allongement de la durée des études des femmes, l’accès à des moyens de contraception plus efficaces et une exposition accrue aux produits chimiques (nocifs pour la fertilité). Dans le même temps, un courant émerge dans l’univers de la tech, à la faveur du mouvement féministe entrepreneurial, militant pour une réappropriation par les femmes de leur santé et de leur sexualité.
Ce courant, appelé Femtech[1], consiste dans une offre de plus en plus importante de services technologiques permettant d’améliorer la santé des femmes. Dans ce secteur qui pourrait, à l’horizon 2025, représenter un marché de 25 milliards de dollars puisqu’il concerne potentiellement la moitié de l’humanité, celui des FertilityTech a le vent en poupe. Les FertilityTech regroupent toutes les technologies et les services numériques permettant aux femmes de contrôler et gérer tout ce qui touche à leur santé intime et à la fécondité : depuis les menstruations jusqu’à la grossesse en passant par la vie sexuelle et la contraception. S’il s’agit d’un véritable mouvement d’empowerment (ou d’autonomisation) des femmes, le marché n’a pas attendu et aujourd’hui bon nombre de start-up à travers le monde surfent sur cette vague qui peut s’avérer très lucrative mais qui prête aussi le flanc à la critique.
1 – Les fertilityTech : d’un marché de niche à un véritable phénomène de société
Longtemps considérées comme un marché de niche à la fois par les investisseurs et par le monde de la technologie[2] – tous deux des univers très fortement masculin où les femmes peinent à se faire entendre – les femTech et plus précisément les fertilityTech attirent de plus en plus le regard des capitaux-risqueurs et des business angels. Cette évolution est notamment due à l’engagement fort de leaders d’opinion féminins comme Cindy Gallop (fondatrice du mouvement MakeLoveNotPorn) ou Ida Tin (co-fondatrice de Clue) mais aussi aux succès récents de certaines solutions qui ont levé des millions de dollars. Pour preuve, selon PitchBook, l’année 2018 est l’année record pour les investissements dans la Femtech avec pas moins de 400M$ contre à peine 23M$ dix ans plus tôt. Parmi les succès les plus récents, Elvie, une société qui propose des tire-laits connectés et des rééducateurs pelviens intelligents, a levé 42M$ auprès d’investisseurs privés. Kindbody vient de lever 15M$ en série A auprès d’investisseurs pour déployer un bus mobile dédié à la contraception des femmes dans les rues de New York. Cora, de son côté, a levé 7,5M$ auprès d’Harbinger Ventures, Modern Fertility, 15M$, ou encore NextGen Jane, spécialisé dans les tampons intelligents en mesure de détecter l’endométriose, qui a réalisé une levée de fonds de plus de 11M$ en deux fois. Ces succès récents montrent que ce marché est en plein essor et que les technologies sont aujourd’hui suffisamment mures pour permettre aux produits de rencontrer leurs publics.
A l’image de ce qui se passe dans les secteurs de la santé, du sport ou du bien-être, la santé reproductive n’échappe pas au phénomène de quantified self[3]. En effet, de plus en plus de services et d’applications permettent aux couples et plus particulièrement aux femmes de collecter et d’analyser des données liées à leur intimité et donc de prendre des décisions en « parfaite » information avec un triple objectif avoué : mieux connaitre son corps, éviter de tomber enceinte ou, au contraire, maximiser les chances de tomber rapidement enceinte. Pour cela, il existe des applications de coaching pour les parents comme Future Family qui, pour une adhésion mensuelle de plus de 300$ propose des services de coaching lié à la fécondation in vitro ou à la congélation des ovules[4]. Les chatbots ont également le vent en poupe avec Grace et Superizzy.ai qui aident les femmes à mieux comprendre leurs cycles mais aussi répondre à leurs questions concernant leur vie sexuelle et leur contraception.
Mais la vraie tendance est celle du suivi de la fertilité féminine. Et la méthode des températures, qui permet de déterminer la période la plus fertile, est particulièrement propice au quantified self. Natural Cycles est une application qui, à partir de données quotidiennes enregistrées, détermine le cycle menstruel des femmes. Glow propose les mêmes services mais prodigue aux couples des conseils et mise sur une communauté d’entraide très importante. Mais ces applications obligent les femmes à tenir à jour et à noter quotidiennement les températures. Or, avec l’explosion de l’internet des objets, des solutions passives se mettent en place, facilitant ainsi les usages. Kindara et Daysy proposent tous deux une application couplée à un thermomètre connecté. Tempdrop et Ava préfèrent le bracelet connecté qui analyse durant la phase de sommeil différents facteurs physiologiques de fertilité (température corporelle, poux au repos, respiration, le ratio de variabilité cardiaque, etc.). Un algorithme se chargeant de déterminer avec précision les phases de fertilité-infertilité durant le mois afin de permettre au couple de prendre la meilleure décision. Yono, enfin, propose un petit thermomètre intra-auriculaire partant du principe que les températures relevées sur la peau ne sont pas assez fiables pour suivre les cycles de l’ovulation.
Si ces solutions sont principalement orientées vers les femmes, certaines applications adressent le marché de la fertilité masculine comme Trak Fertility. Il s’agit d’un kit qui permet d’analyser le taux de spermatozoïdes dans le sperme de l’homme grâce à un spermogramme portatif et privatif.
2 – Des technologies qui posent question
Si les FertilityTech et plus largement les Femtechs gagnent en popularité, tant du point de vue des usagers que de celui des investisseurs, le sujet soulève tout de même de nombreuses questions. Tout d’abord, il s’agit d’un marché très lucratif, dans lequel, une partie de la population est captive. En utilisant les arguments marketing d’un contrôle « naturel » de la fertilité, les solutions proposées par les start-up de la Femtech sont beaucoup plus onéreuses que les moyens classiques et sont donc réservés à la partie la plus aisée de la population. Ainsi, le tire-lait connecté proposé par la société Elvie, et dont le stock a été épuisé en quelques jours, coûtent 500$ pièce, soit plus de 10 fois plus cher que les tire-laits classiques. De même, si la plupart des applications de tracking de l’ovulation sont gratuits, une grande majorité proposent des buy-in options pouvant monter jusqu’à plus de 100$ en fonction du service. Des voix s’élèvent également au sujet de la fiabilité de ces applications qui misent sur les algorithmes comme gage de crédibilité.
Très récemment, des Suédoises ont alerté sur le fait qu’elles étaient tombées enceintes alors qu’elles utilisaient l’application Natural Cycles en toute confiance, basant leur sexualité sur les conseils fournis par l’application. Ce cas met en lumière le fait que les millenials, cette partie de la population née avec le numérique, accordent souvent une très grande confiance à la technologie. Technologie qui parfois utilise des arguments marketing à la limite de l’éthique comme l’application Dot qui, sur la base d’une étude scientifique montrant une fiabilité de 99%, n’hésite pas à se déclarer comme moyen de contraception !
Autre problème lié aux applications – mais qui n’est pas propre aux FertilityTech – celui de la sécurité des données : les utilisatrices de ces applications et objets connectés ne peuvent profiter des services qu’en confiant aveuglément leurs données sensibles à des tiers sans réellement savoir quelle exploitation il en sera faite.
Enfin, l’une des critiques les plus virulentes concerne le fait que derrière certaines applications se cacheraient des investisseurs engagés dans les mouvements anti-avortement comme c’est le cas pour l’application Femm ce qui soulève de grave questions éthiques. Mais aujourd’hui, c’est vers un autre marché que se tournent les investisseurs : celui des millenials qui sont prêts à plonger dans la folie des applications liées à la santé des bébés et à la vie de jeunes parents : les babytechs.
[1] Les Femtechs sont les technologies et services numériques au service de la santé des femmes.
[2] A titre d’exemple, quand Apple sort son application Health sur iPhone, il n’a pas intégré de fonctions liées à la santé et à l’intimité des femmes. Aujourd’hui ceci est corrigée avec l’intégration d’une section « Santé reproductive » qui permet d’accéder à une banque d’applications dédiées ou d’enregistrer toutes les données liées à la sexualité, la procréation ou la contraception.
[3] Mouvement qui regroupe les outils, les principes et les méthodes permettant à chacun de mesurer ses données personnelles, de les analyser et de les partager.
[4] Sur ce marché, nous retrouvons beaucoup de solutions comme Kindbody, Extend Fertility, Prelude Fertility, Progyny ou Dadi pour la congélation du sperme.
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