Alors que les 17èmes Rencontres Nationales du eTourisme de Pau ont refermé leurs portes il y a un mois, nous avons décidé, avec l’aide des étudiants du Master 2 Aménagement et gestion des équipements, sites et territoires touristiques (AGEST) de l’Université Bordeaux Montaigne, de revenir sur quelques tendances qui devraient dessiner les prochaines années et façonner non seulement notre pratique du tourisme mais aussi l’offre de services touristiques par les professionnels du secteur. Sans être exhaustifs, nous tâcherons de présenter quelques-unes de ces réflexions.
Un contexte inédit qui demande adaptation et résilience
La pandémie que traverse le monde depuis maintenant plus de 18 mois a eu un impact considérable sur le secteur touristique, celui-ci vivant exclusivement des déplacements de populations – qu’elles soient françaises ou étrangères. Selon le secrétaire d’État chargé du tourisme, Jean-Baptiste Lemoyne, « l’année 2020 a été un choc, c’est plus de 60 milliards d’euros de recettes qui manquent à l’appel pour le tourisme français ». Cela représente un tiers du chiffre d’affaires réalisé en 2019. Les recettes domestiques ont chuté de 29 milliards d’euros et celles générées par les voyageurs internationaux de 32 milliards selon Atout France, l’agence de développement touristique de la France. La restauration et l’hébergement ont été les deux sous- secteurs d’activités les plus impactés en France occasionnant destruction d’emplois et désaffection des métiers liés au tourisme.
Le secteur aérien, en France, a été très fortement affecté par les restrictions de déplacements. Deuxième pourvoyeur de touristes, le secteur alimente l’ensemble des filières du tourisme. Le nombre de passagers internationaux a diminué de 73,5% entre 2019 et 2020. Les liaisons internationales sont plus affectées que les liaisons nationales (-55%). Les conséquences ont été désastreuses pour les destinations touristiques qui ont, pour certaines, perdu leur principale clientèle et pour les aéroports français touchés par la très forte réduction du nombre de vols. L’exploitant des aéroports Roissy-Charles-de-Gaulle et d’Orly annonçant une perte nette de 1,17 milliard d’euros pour 2020, contre un bénéfice net de 588 millions d’euros en 2019.
Le 4 novembre dernier, dans une intervention lors du Sommet « Destination France », le Président Macron a exhorté les dirigeants de grandes entreprises du tourisme, françaises ou étrangères mais intervenant sur le territoire national a réinvestir massivement dans l’industrie touristique visant plus de 20 milliards d’euros en 2022, gage selon lui, d’une modernisation du secteur et d’une adaptation à l’évolution des pratiques et des besoins des touristes. De son côté, Alliance France Tourisme qui regroupe les entreprises leaders du secteur du tourisme a publié des propositions pour une stratégie touristique française afin d’ « ériger le tourisme au rang de priorité nationale ».
Pourtant, le recul (relatif) de la pandémie, associé aux campagnes vaccinales, permet d’entrevoir une sortie du tunnel dans les mois à venir. Les Français plébiscitent à nouveau leur envie de voyages, de découvertes et de plein air. Pour autant, selon les spécialistes, le tourisme ne devrait plus tout à fait être le même.
Des tendances qui émergeaient avant la pandémie seraient en train de dessiner le tourisme de demain en s’appuyant sur les contraintes économiques, sociales, environnementales, nouvelles. Loin d’aborder l’ensemble de ces tendances de fond, les Rencontres Nationales du eTourisme sont l’occasion pour les professionnels pour s’interroger sur l’avenir de leur profession.
Le tourisme durable : plus qu’un vœu pieux ?
L’une des tendances fortes de cette 17ème édition des rencontres concerne le tourisme durable. Si cette notion n’est pas nouvelle (les origines remonteraient à 1995 lors de la Conférence mondiale du tourisme durable qui s’est tenue à Lanzarote), elle peut se définir comme « une activité touristique qui respecte et préserve à long terme les ressources naturelles, culturelles et sociales et contribue de manière positive et équitable au développement économique et à l’épanouissement des individus qui vivent, travaillent ou séjournent sur ces espaces ».
Comme le souligne Remy Knaffou dans un article de 2011, « le « tourisme durable » oscille à l’heure actuelle entre tentatives et pratiques très minoritaires, voire encore marginales, et politiques de marketing des collectivités territoriales comme des entreprises qui communiquent beaucoup sur le thème bien plus qu’elles ne le mettent en pratique.» Dans son allocution lors de la clôture des 17èmes rencontres du eTourisme, ce même Remy Knaffou remarque que les incantations faisant suite à la pandémie pour un tourisme responsable sont restées lettre morte (ce qu’a confirmé Paul Arseneault dans sa conférence d’ouverture des mêmes rencontres) et que personne ne pourra échapper à une 4ème Révolution du Tourisme (qui ne vise pas à réinventer le tourisme).
pourtant, de nombreuses initiatives, qui dépassent le fameux green washing, laissent entrevoir la possibilité d’un autre tourisme, plus respectueux de l’homme et de la nature. C’est le pari pris, il y a deux ans par la Région Auvergne Rhône Alpes qui, à travers la rédaction d’un manifeste, a embrassé le tourisme bienveillant.
Le tourisme bienveillant est un tourisme qui « s’adresse à tous, ancré dans l’histoire et l’avenir de chaque territoire, profitable durablement et équitablement pour chacun de ses habitants et de ses acteurs. » On le voit, loin des slogans performatifs, l’approche bienveillante est multidimensionnelle. Ainsi, une batterie d’indicateurs a été lancée en 2019 afin de mesurer l’impact des actions concrètes des autorités touristiques de la région sur le tourisme bienveillant. Trois dimensions (économique – sociale – environnementale) ont été retenues et les résultats sont aujourd’hui probants comment en attestent les chiffres publiés an aout 2021.
D’ores et déjà, sur bon nombre d’indicateurs, les indicateurs de la Région Auvergne-Rhône-Alpes sont supérieurs à ceux de la France dans son ensemble.
L’un des axes stratégiques du tourisme bienveillant repose sur la mise en avant des territoires par et pour les habitants de ces territoires. Le tourisme de proximité se donne comme objectif de contribuer au développement d’offres durables locales au profit de la consommation locale et en privilégiant les mobilités douces et collectives. Il s’agit également de faire des habitants des territoires les premiers touristes. « Il est possible d’encourager le voyage à l’échelle de la région ou du département, sans pour autant le faire à l’échelle du monde », comme le soulignait Jean Pinard, le directeur du Comité Régional Occitanie lors des Rencontres.
Plusieurs intervenants des Rencontres Nationales du eTourisme ont exprimé cette volonté de renforcer cet axe dans les années à venir. À l’heure de la vaccination de masse et à la réouverture des frontières, les Français déclarent (et semblent s’y tenir) vouloir privilégier les vacances à proximité de leu lieu de vie.
Du côté des professionnels du tourisme, l’adaptation à cette nouvelle forme de tourisme est nécessaire. Après une année (presque) blanche, les territoires ont vu le retour (timide) des touristes étrangers avec cependant une modification de la sociologie de ces derniers : plus de touristes des pays limitrophes (Pays-Bas-Suisse-Allemagne-Belgique) et chute des clientèles lointaines (Etats-Unis-Chine-Moyen Orient) qui représentaient, souvent, la principale clientèle (en termes de budget notamment).
Pour les territoires dont les principales ressources proviennent du « tourisme lointain », l’adaptation est nécessaire. « L’émergence du tourisme de proximité créée aussi de nouvelles problématiques. Dans notre région, pour laquelle la clientèle internationale est stratégique, la réponse au marché français demande beaucoup d’adaptation aux professionnels du tourisme », estime Loïc Chovelon, directeur général du Comité régional du Tourisme de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA).
Cette adaptation est déjà à l’œuvre dans bon nombre de territoires comme en attestent les présentations de certains d’entre eux à Pau. La première initiative provient de la Région Auvergne-Rhône-Alpes avec l’application Partir’ici qui se veut être un guide de voyage à l’usage des habitants de la région qui veulent (re)découvrir leur territoire, alimenté par des passionnés locaux (appelés les Éclaireurs), à travers 2000 activités authentiques, respectueuses du vivant et des territoires, renseignée par les professionnels grâce aux offices de tourisme et commentées par une communauté de passionnés. Voyager à proximité c’est aussi varier ses moyens de déplacement. Comme le souligne Julien de Labaca, consultant en mobilité, la chaîne de déplacement du touriste est plurielle : avion, voiture, train, bus, vélo, scooter, trottinette et même déplacement à pied.
Pourtant, jusqu’ici, ses modes de déplacements étaient organisés en silo. Intermodalité complexe, absence de coordination des acteurs locaux de la mobilité, informations difficiles à décrypter, les touristes font face à de nombreux obstacles dans l’organisation de leurs séjours mais aussi, in situ, sur le lieu de destination. Mais la révolution numérique et les applications de mobilité ont remis en cause cette organisation étanche. Dorénavant, le touriste peut organiser ses déplacements depuis son domicile jusqu’à son lieu de destination grâce à ces nouveaux outils. De leur côté, les institutions et les acteurs du tourisme l’ont bien compris.
Le train retrouve ainsi des couleurs. « Abandonné » au profit de l’avion et du TGV pour des raisons de temps de trajets considérés comme trop longs donc non optimaux pour les touristes, les initiatives pour le réhabiliter se multiplient. Les opérateurs misent dorénavant sur le train pour attirer une nouvelle population de touristes : Salaün Holidays, Nomade Aventures ou La Balaguère n’hésitent plus à mettre à leurs catalogues des offres dans lesquelles les déplacements se font en train : économique, écologique et « éthique », le train possède de nombreux avantages.
Du côté de la SNCF, après des années de désaffection pour les lignes de courtes distances au profit des lignes à grandes vitesses, la politique s’infléchit. Alors que le TER n’avait pour d’autres fonctions que de faciliter les déplacements pendulaires des citoyens, dorénavant la SNCF joue à fond la carte touristique : mise en avant des paysages, propositions de randonnées accessibles en TER, ou découverte du patrimoine en train. Les territoires l’ont bien compris et adoptent la stratégie de la SNCF en la poussant un peu plus loin. Ainsi, la région Pays de la Loire propose le service Jumbo Vélo qui permet aux habitants de la région et aux touristes de voyager à bord des trains en compagnie de leur vélo (tous les types de vélos sont acceptés) entre Le Croisic et Orleans en longeant la Loire.
Le tourisme durable passe également par la mise en place d’un tourisme plus participatif dans lequel les citoyens sont appelés à se prononcer sur les grandes orientations stratégiques des territoires. La Ville de Bordeaux a lancé une consultation participative sur le tourisme durable et a établi un Manifeste « En route vers une destination internationale durable ».
Le tourisme participatif c’est aussi l’utilisation des plateformes modernes de crowfunding. Flokeo, l’un des acteurs du tourisme durable a lancé une plateforme de financement participatif permettant de financer des projets durables. Enfin, le tourisme participatif peut passer par le développement de stratégie de partenariat entre les plateformes numériques touristiques et les territoires. À titre d’exemple, AirBnB et l’ Association des Maires de France ont signé un partenariat pour développer 15 000 hébergements touristiques de qualité en zone rurale. Airbnb et l’association des Maires ruraux lancent ainsi « Campagnes d’Avenir », un nouveau fonds pour le développement du tourisme dans les communes rurales, alimenté par la création de nouvelles annonces Airbnb dans les campagnes françaises. L’objectif est double : aider les habitants des zones rurales à devenir des hôtes AirBnB et ainsi participer à la dynamisation des campagnes françaises dont le potentiel touristique reste sous-exploité, selon les deux parties.
Repenser l’approche marketing
Une autre tendance, apparue au cours des présentations et des échanges qui ont eu lieu lors des Rencontres Nationales du eTourisme, concerne la stratégie de communication que les destinations et les territoires doivent adopter en 2021, au sortir de la crise sanitaire traversée par l’ensemble des acteurs. Selon différents témoignages, il est essentiel pour les professionnels du tourisme, et les territoires en premier lieu, de déconstruire l’approche générationnelle mise en avant par les agences de marketing depuis 15 ans. En effet, et dans la continuité des propos de Vincent Cocquebert, journaliste ayant publié « Millennial Burn-out : X, Y, Z… comment l’arnaque des “générations » consume la jeunesse » (Éditions Arkhê), l’approche marketing par les générations est une ineptie caricaturale qui enferme les individus dans des groupes sociaux prédéterminés : « Nous sommes un peu tous des millennials. On peut avoir 60 ans et manger du quinoa, rouler en trottinette, passer son temps en voyage dans des Airbnb. Le marketing se fourvoie en explorant le prisme unique du jeunisme. Aujourd’hui, on devrait plutôt concevoir le marketing à travers les communautés émotionnelles, par-delà les classes économiques. Il serait plus intéressant de penser un marketing post-générationnel qui s’adresserait à toutes les classes d’âge en fonction de ce qui les relie, des usages, des valeurs, des produits culturels, des thématiques sociétales, etc. » Ce à quoi ajoute Nicolas de Dianous (Directeur associé de We Like Travel), lors d’une allocution à Pau que « le marketing générationnel doit être déconstruit, pour répondre à des besoins et non plus viser des catégories d’âge ».
Et ces besoins ne s’expriment plus au travers des marques mais au travers de valeurs. Les messages délivrés par les professionnels du tourisme (acteurs privés comme institutionnels) doivent être porteurs de ces valeurs. Et à l’heure de la crise sanitaire mondiale, les valeurs réclamées par les touristes sont l’authenticité, la spontanéité et la sincérité. Pour répondre à ces besoins, les professionnels du tourisme doivent, à l’instar des grandes marques commerciales, sortir des schémas narratifs marketing obsolètes. Les nouveaux codes sont dorénavant ceux de TikTok. La plateforme chinoise de contenus vidéo de courtes durées explose en effet les codes et les représentations. Après Facebook et le partage de ses photos de vacances avec ses proches, après Instagram et le partage de ses photos avec ses abonnés, TikTok mise sur le partage de vidéos. Et les acteurs du tourisme ont vite compris l’intérêt d’être présents sur une plateforme qui compte 14,9 millions d’utilisateurs actifs mensuels en janvier 2021 en France.
[Video TikTOk SNCF https://www.tiktok.com/@oui.sncf/video/7014094754161904901?]
Le Futuroscope à Chasseneuil du Poitou n’a pas hésité à sauter le pas. Principalement destiné aux enfants et aux adolescents, le Futuroscope a compris l’intérêt de communiquer sur une plateforme sur laquelle 70% des utilisateurs ont entre 13 et 24 ans. Aujourd’hui, le parc compte 48.000 fans sur la plateforme. Depuis, d’autres parcs ont emboité le pas comme Disneyland Paris ou le Parc Asterix. Mais les destinations ont également sauté le pas afin d’attirer une clientèle plus jeune et de proposer une communication décalée (en regard des traditionnels outils de communication). La région Auvergne-Rhône-Alpes a lancé, lors de la saison estivale 2021, un compte TikTok en lien avec Génération Montagne, le site de promotion des activités de montagnes pour les jeunes, sur lequel elle a invité plusieurs influenceurs à réaliser des vidéos promotionnelles pour des résultats au-delà de toute espérance : 4 500 000 jeunes ont été touchés par cette action avec au total 1 200 000 likes et 88 000 clics vers le site Génération Montagne. D’autres destinations comme La Réunion, la ville de Cannes ou Savoie Mont-Blanc ont également misé sur la plateforme pour sa très forte popularité et son taux de conversion élevé.
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Depuis 18 mois, le secteur touristique français subit de plein fouet les conséquences économiques de la pandémie et des restrictions qui lui sont liées. Les Rencontres Nationales du eTourisme ont été l’occasion, pour les professionnels du tourisme et les territoires, d’affirmer leur volonté de rattraper le temps perdu.
Pour cela, des orientations claires se sont dessinées parmi lesquelles la prise en compte des aspirations des touristes autour du tourisme durable et vertueux. De nombreuses destinations ayant définitivement pris le virage du tourisme responsable.
Autre grande tendance, le marketing. Les vieilles recettes ne faisant plus leur effet, il est aujourd’hui temps de redéfinir l’approche communicationnelle envers les publics. L’approche génération longtemps mise en avant semble perdre du terrain au profit d’une nouvelle façon de communiquer, elle aussi plus responsable et moins clivante.
Une feuille de route pour la transition climatique qui embarque les acteurs du tourisme
La Nouvelle-Aquitaine s’est dotée il y a 2 ans d’une feuille de route pour la transition environnementale et climatique, Néo Terra. Dans le secteur du tourisme, cette feuille de route s’est matérialisée par la création en 2020 du Tourisme Lab, un outil d’innovation pour proposer de nouvelles offres et de nouveaux produits et en 2021 d’un incubateur de start-up, Tipi 535.
Ces approches collectives, regroupant acteurs publics (Région, Agence de Développement et Innovation, Mission des Offices de Tourisme, Association Régionale des Grands Acteurs Touristiques, Comité Régional du Tourisme, Union nationale des associations de tourisme et de plein air, Union des Métiers et des Industries de l’Hôtellerie, Hôtellerie de Plein-Air, Technopoles) et privés (Siblu, la Cité du vin, l’UCPA et la SNCF…), permettent la rencontre entre problématiques terrains et réponses de services par des entreprises et start-up. Citons à titre d’exemple la solution Ma Plage permettant de collectez des données qualifiées par les Maîtres-Nageurs Sauveteurs telles que la température de l’eau, la couleur du drapeau, l’affluence de la plage, les messages d’alertes…