Le boom de la digital fashion : quand la technologie transforme l’industrie de la mode
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La crise sanitaire de 2020 a bouleversé de nombreux domaines et le secteur de la mode n’a pas échappé à ce tsunami. Fermetures temporaires de boutiques physiques et d’usines de production, confinements, déconfinements, le secteur a payé le prix fort comme l’ensemble du retail. Pourtant, cette crise a aussi été l’occasion pour le secteur du luxe et de la mode de se repenser en innovant et en répondant à une demande nouvelle de la part des consommateurs toujours plus numérique.

La digital fashion apparaît comme une tendance qui apporterait un renouveau au secteur assez traditionnel de la mode et surtout à la sphère très fermée de la haute couture.

Qu’est-ce que la digital fashion ?

La mode numérique, ou « digital fashion » en anglais, fait référence à l’intersection de la mode et de la technologie numérique. Elle englobe toutes les formes de vêtements, d’accessoires et de créations virtuelles conçues spécifiquement pour les médias numériques et les environnements en ligne. En d’autres termes, on peut y voir le remplacement du tissu des vêtements par des pixels.  Ces vêtements créés à l’aide de logiciels 3D sont entièrement digitaux et n’existent que virtuellement. Ces créations sont conçues pour être visualisées et partagées sur des plateformes en ligne, des réseaux sociaux, des jeux vidéo ou des espaces de réalité virtuelle. Elles peuvent être portées par des avatars numériques dans des mondes virtuels (ce qu’on appelle des « skins », tenues portées par des avatars dans les jeux vidéo mais aussi les créations portées dans le metavers) ou superposées à des images réelles à l’aide de la réalité augmentée. Elles peuvent alors être partagées sur les réseaux sociaux.

De nouveaux créateurs, de nouvelles marques

L’expansion de la digital fashion a permis l’émergence de nouveaux créateurs 100 % digitaux. C’est ainsi que de nouvelles marques se présentant pour certaines comme des maisons de haute couture ont vu le jour et offrent des créations originales qui pour beaucoup ne peuvent être recréées de façon physique. Ces marques proposent un nouveau modèle économique, plus qu’un vêtement elles vendent un service, une expérience au consommateur qui a la possibilité de porter virtuellement des pièces qui dans la vraie vie auraient un coût exorbitant ; elles mettent donc en avant le fait de permettre aux personnes d’accéder à des créations uniques pour un prix bien inférieur à celui d’une pièce réelle. Dans ce secteur, The Fabricant est vu comme le pionnier. En effet, la marque qui se présente comme la première maison de haute couture numérique a vu le jour en 2018, bien avant la crise sanitaire et le boum de la digital fashion. En tant que précurseur, elle veut poser les bases de la nouvelle mode, la mode numérique. L’idée de The Fabricant pour atteindre son objectif est de remplacer le fil et les aiguilles par des logiciels de conception 3D et par des outils et techniques d’animation afin de créer cette nouvelle mode digitale. La marque est d’ailleurs la première à vendre une robe virtuelle, nommée Iridescence elle se vendra en 2019 pour la somme de 9500 dollars sur la blockchain.

Après The Fabricant d’autres marques ont vu le jour notamment au moment de la crise du covid-19, c’est le cas de la marque Republiqe qui a su tirer profit de la large utilisation des réseaux sociaux pendant les confinements pour se faire connaître. Republiqe se présente comme une marque totalement digitale qui laisse champ libre à la créativité et qui se préoccupe de l’impact environnemental de la mode. En octobre 2021, Republiqe s’associe avec la marque Monnier Paris afin de réaliser une collection 100% digitale nommée Republiqe Clothing, elle se base sur le même principe que les autres collections de mode numériques proposées par d’autres marques, le client choisit un vêtement sur le site, il envoie ensuite une photo puis la marque se charge de superposer le vêtement sur la photo pour qu’elle puisse être  postée sur les réseaux sociaux.

Leather and Fur Mini Dress and Boots : un exemple de tenue proposée par Republiqe

En dehors des marques digitales comme The Fabricant ou Republiq, des e-shop proposant des vêtements virtuels de différentes marques voient le jour. Le plus connu de ces e-shop, est DressX créé en 2020 par deux Ukrainiennes, il propose des créations haute couture 100% digitales pour un prix maximum de 200 dollars. D’après les créatrices de DressX, l’e-shop virtuel est l’avenir de la mode car selon elle, « 9% des clients des pays développés achètent de nouveaux vêtements dans l’objectif de faire une photo pour leurs réseaux sociaux. ». DressX se positionne donc sur un marché qui pour le moment est assez restreint mais qui tend à se développer.

Preuve de sa croissance, DressX a obtenu en février 2021 la première de couverture de l’édition ukrainienne du magazine physique L’Officiel. Cette première est vue comme un signe que la mode digitale commence à sortir de son périmètre numérique et s’exporte dans le monde physique. DressX n’est pas qu’un revendeur multimarques mais est aussi une entreprise qui cherche à innover notamment dans le développement de la technologie et surtout de l’autonomisation du processus de superposition des vêtements digitaux sur les photos des clients.

Ces nouvelles marques de mode se sont donc positionnées sur un marché qui pour le moment reste plutôt un marché niche. Ne possédant pas de stock elles jouent sur la notion de rareté et d’exclusivité pour vendre leurs articles. D’autres marques virtuelles comme XRCoutureproposent également de personnaliser les vêtements avec des effets spéciaux par exemple et ainsi jouer sur la notion de sur-mesure.

Les marques traditionnelles se mettent au digital

Les marques traditionnelles du secteur de la mode se digitalisent de plus en plus. En dehors des boutiques en ligne et autres comptes sur les réseaux sociaux, ces grandes marques investissent le milieu de la mode digitale. De nombreuses collaborations voient le jour entre des marques physiques et des marques digitales. C’est le cas de la marque allemande de chaussures Buffalo London qui a sorti avec The Fabricant une réinvention du best-seller de la marque, une basket à semelle compensée. Cette basket disponible uniquement en version numérique et seulement en 100 exemplaires était notamment vendue sur le site multi-marques DressX.

The Fabricant a collaboré avec de nombreuses marques physiques notamment avec l’équipementier Puma lors d’une campagne de publicité, avec la marque de sport Under Armour lors de la création d’un showroom et d’un catalogue ou encore avec la marque américaine Tommy Hilfiger.

Hormis ces collaborations, d’autres marques créent elles-mêmes des collections digitales, c’est le cas de la marque Printemps. La marque a lancé en 2021 sa première collection de vêtements et d’accessoires 100% digitaux nommée Magnetic Vibes. La collection se présente comme unique et inclusive qui se soucie de l’impact environnemental causé par l’industrie de la mode traditionnelle. Elle met aussi en avant le prix des vêtements numériques proposés qui sont beaucoup moins chers que les vêtements physiques vendus dans leurs magasins, les prix de la collection oscillent entre 5 et 15 euros contre au minimum une centaine d’euros pour les vêtements physiques.

La gamification de la mode

Le secteur de la mode investit de plus en plus celui du jeu vidéo, les grandes maisons de couture se mettent à créer des vêtements pour des jeux vidéo. L’exemple qui a eu le plus de succès est celui du jeu Animal Crossing « New Horizons » sorti pendant le confinement en mars 2020 et qui est apparu comme la nouvelle scène de la mode. Les joueurs du monde entier commencent à habiller leur avatar avec des vêtements s’inspirant des créations de maisons comme Dior, Chanel ou Fendi. Suite à un tel enthousiasme, le créateur Marc Jacobs et la maison Valentino créent leur propre avatar, la marque de luxe italienne va même collaborer avec le jeu pour créer des tenues. En mai 2020, une fashion week a même eu lieu dans l’univers virtuel de Animal Crossing.

Les marques Gucci et The North Face se sont également associées afin de sortir une collection numérique pour le jeu vidéo Pokémon Go. Grâce à un code, les joueurs peuvent utiliser les vêtements et accessoires de la collection dans le monde de réalité augmenté Pokemon Go.

Autre marque à avoir investi le monde du jeu vidéo est Balenciaga qui, pour sa collection automne 2021, a lancé un jeu vidéo d’aventure futuriste où notre avatar est habillé entièrement avec des vêtements de la marque.

La marque française de chaussures Christian Louboutin a aussi sauté le pas du virtuel en collaborant en 2021 avec une plateforme de « virtual styling » nommée Drest où les utilisateurs peuvent habiller leur avatar avec les chaussures et accessoires de la marque.

En 2019, la maison de couture française Louis Vuitton s’est associé à Riot Games afin de créer la malle qui allait contenir la « Summoner’s Cup » coupe de champion du monde du jeu League of Legends.

Vogue.fr

Les marques de mode s’associent aux jeux vidéo dans le but d’y faire apparaître leurs créations, les jeux vidéo deviennent donc des lieux où la mode s’installe. La gamification de la mode est une des formes que prend de plus en plus la digital fashion.

La digital fashion et la fashion week

Après les jeux vidéo, la digital fashion investit le metavers et le monde des NFT. En dehors des vêtements portés par les avatars du metavers, c’est notamment la très connue fashion week qui s’immisce dans le metavers qui représente une nouvelle ère pour cet événement. En mars 2022, s’est tenue la Metavers Fashion Week sur la plateforme Decentraland où des défilés et même des afterparties ont eu lieu.

En février 2021 avait eu lieu la Crypto fashion week, un événement qui a réuni le monde la technologie, le design et la mode.

Alors que la Fashion Week de New York a été annulée en 2020 pour cause de pandémie de Covid, Anifa Mvuemba, la fondatrice de la marque de prêt-à-porter Hanifa, décide de virtualiser l’ensemble des tenues et de réaliser un défilé virtuel sur Instagram.

Mode numérique et NFT

Un des aspects de la digital fashion se manifeste par la création de NFT. A l’image des œuvres d’art NFT, il existe également des articles de mode qui sont des NFT. Un des exemple les plus connu est celui de la marque de sport Nike qui après avoir racheté la marque de sneakers virtuelles RTFKT en 2021 a lancé en avril 2022 sa première collection CryptoKicks DunkGenesis contenant 20 000 baskets en NFT. Cette collection NFT a connu un très grand succès, les sneakers virtuelles se vendent entre 2,5 et 3 ETH voire pour les plus rares jusqu’à 150 ETH (l’Ether étant la cryptomonnaie utilisée pour les échanges).

En novembre 2021, Nike avait déjà lancé dans le monde virtuel Roblox Nikeland, cet acteur du metavers, lance de nombreuses collaborations avec des acteurs de la mode comme Nike ou Ralph Lauren.

Adidas, éternel concurrent de Nike a également lancé une collection de 30 000 NFT en collaboration avec Bred Ape Yacht Club, cependant contrairement à Nike le collectionneur en plus sa basket en NFT reçoit aussi une pièce physique.

La marque de luxe Gucci a également sorti une paire de baskets virtuelles nommée Gucci Virtual 25 elle est disponible pour la somme de 13 euros sur l’application de Gucci et peut être portée en réalité virtuelle sur des applications comme Roblox ou VR Chat.

Pendant la Fashion Week de Paris en 2021, la maison de haute couture Aelis a proposé une expérience nommée Luce ImmorTale. Ce projet consistait à diviser la propriété d’une robe virtuelle unique en cinq NFT qu’il fallait réunir dans le but de devenir le seul propriétaire de la robe. Chacun des cinq acheteurs reçoit un morceau de la robe virtuelle, un morceau de l’histoire de la maison de couture mais également quatre esquisses physiques et d’une photo signée. La marque propose donc une  expérience complète qui lie mode digitale et NFT.

Digital fashion, une solution environnementale ?

La mode numérique se présente comme un solution à l’empreinte carbone laissée par l’industrie de la mode et notamment par ce qui est appelée la fast fashion incarnée, entre autres, par Shein. En effet, le secteur de la mode représente 10 % des émissions humaines de carbone. Selon The Circulant, « 30% de la production mondiale de vêtements finit dans les décharges ou incinérée dans les 12 à 18 mois. »

La digital fashion permettrait donc de réduire l’impact sur l’environnement de la mode car contrairement à son homologue physique, elle n’a pas besoin d’usines, de matières premières ni de transport. La mode digitale pourrait être utilisée afin de permettre aux consommateurs d’utiliser les vêtements virtuellement, ce qui permettrait aux marques de savoir quels sont les articles les plus vendus et ainsi adapter la production physique et donc de réduire voire de faire disparaître, les invendus et la surproduction. Toutefois, cette optimisme est à tempérer puisque le développement de la digital fashion peut aussi avoir des effets négatifs sur l’environnement. Au niveau de l’énergie et des ressources numériques tout d’abord. La création, le stockage et la diffusion des vêtements virtuels nécessitent des infrastructures numériques et des serveurs de données qui consomment de l’énergie. Si ces infrastructures ne sont pas alimentées par des sources d’énergie renouvelable, elles peuvent contribuer aux émissions de gaz à effet de serre. Ensuite, comme dans le secteur « classique » de la mode, l’obsolescence est un sujet que la Digital Fashion ne peut ignorer. Cela peut entraîner une augmentation de la demande de nouveaux produits numériques, ce qui peut potentiellement avoir un impact sur la consommation d’énergie et de ressources. Enfin, bien que la digital fashion réduise la production de déchets physiques, elle génère également des déchets numériques. Les fichiers de vêtements virtuels, les avatars et les modèles 3D peuvent occuper de l’espace sur les serveurs et nécessiter une gestion appropriée pour minimiser leur impact environnemental.


Cette note de veille a été rédigée par les étudiants de l’ISIC Bordeaux Montaigne : Hugo Wroblewski, Valentina Naveros Osorio, Lycia Ferreira, Océane Rolland, Justin Bru, supervisés par Alexandre Bertin, Responsable Veille et Prospective à Unitec.

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