La relation client, longtemps cantonnée à une fonction de soutien logistique ou de gestion des réclamations, est aujourd’hui au cœur des stratégies d’expérience et de fidélisation des entreprises. Dans un environnement concurrentiel exacerbé et digitalisé, où l’instantanéité est devenue la norme et l’attention un bien rare, les entreprises n’ont d’autre choix que d’adopter une posture proactive, personnalisée et émotionnellement engageante envers leurs clients.
C’est dans ce contexte que la notion de customer care a émergé comme un concept structurant. Plus qu’un simple service client, le customer care désigne l’ensemble des actions mises en place pour prendre soin du client avant, pendant et après l’acte d’achat. Il s’agit d’un engagement qualitatif et durable : offrir des réponses efficaces, créer un lien de confiance, anticiper les besoins et, surtout, faire en sorte que chaque interaction renforce la relation plutôt que de l’éroder. Contrairement au CRM (Customer Relationship Management), qui centralise les données pour les exploiter, ou à la Customer Experience (CX), qui évalue la qualité des parcours, le customer care inclut des aspects relationnels, émotionnels et proactifs : écoute, accompagnement personnalisé, réassurance, anticipation des besoins. Son objectif : instaurer une relation de confiance durable.
Aujourd’hui, l’irruption de l’intelligence artificielle bouleverse profondément cette dynamique. chatbots, agents conversationnels, analyse prédictive, génération de réponses automatisées, traitement automatique du langage naturel (NLP) : autant de briques technologiques qui permettent aux entreprises de traiter plus rapidement, à moindre coût, et parfois avec une précision diabolique, des volumes croissants de demandes. L’IA promet de réconcilier efficacité opérationnelle et exigence relationnelle. Mais cette promesse n’est pas sans conditions, ni sans effets secondaires.
Derrière l’automatisation des réponses se profilent des enjeux majeurs : la qualité réelle de la compréhension contextuelle, l’impact sur les métiers du support, les limites éthiques des algorithmes, et la question cruciale de l’acceptabilité par les clients eux-mêmes. L’IA peut-elle réellement “prendre soin” ? Jusqu’où peut-elle simuler l’écoute, l’empathie, le discernement ? Et surtout, à quelles conditions peut-elle être intégrée sans trahir l’essence même du care ?
Cette note de veille propose d’examiner les mutations du customer care à l’ère de l’intelligence artificielle, en trois temps : la transformation de ses usages et outils, les limites observées ou latentes de l’IA dans ce domaine, et les perspectives d’un modèle hybride où humains et algorithmes co-construisent une nouvelle forme de relation client – augmentée, mais non désincarnée.

Unitec x Les Echos Judiciaires Girondins
Tous les deux mois retrouvez « La veille techno » : la note de veille Unitec version courte qui mettra en avant une start-up accompagnée ! Ce mois-ci, notre #PépiteUnitec Klark est à l’honneur.
I. Historique de la relation-client
Depuis les premiers échanges entre les êtres humains, les notions de confiance et de satisfaction ont façonné les relations commerciales. Les marchands de la Grèce antique ou de la Rome impériale savaient qu’un bon accueil incitait les clients à revenir, actant les prémices d’une culture service-client.
Avec la Révolution industrielle, la production de masse a entraîné une complexification sans précédent du commerce et l’émergence du capitalisme concurrentiel a obligé les producteurs (de biens ou de services) à tenir compte de la satisfaction de leurs clients. L’introduction, en 1868, du fameux « satisfait ou remboursé » (par J.R. Watkins qui vendait, en porte-à-porte son fameux liniment contre la douleur) a marqué une première étape officielle de protection et de reconnaissance des besoins du client. L’invention du téléphone en 1876 par Alexander Graham Bell a révolutionné la communication entre l’entreprise et le consommateur, rendant possible une assistance instantanée sans déplacement. Puis vint le tour des standards et des centres d’appels (années 1960) illustrant la montée en puissance d’un modèle organisé autour des échanges avec les clients.
Un nouveau virage s’est produit avec l’arrivée d’internet dans les années 1990. Les entreprises ont intégré de nouveaux outils, virtuels, pour échanger avec leurs clients. Ces derniers peuvent maintenant solliciter directement des représentants des entreprises depuis n’importe quel point du monde. Ces outils sont aujourd’hui passés dans l’usage quotidien des clients et des entreprises : courriel, chat, CRM (Customer Relationship Management), etc.
Avec l’avènement d’Internet et des réseaux sociaux dans les années 2000 et 2010, les points de contact entre entreprises et clients se multiplient. Les clients attendent une réponse rapide et cohérente, quel que soit le canal utilisé (email, chat, réseaux sociaux, etc.). Le customer care évolue vers une approche omnicanale, intégrant tous les points de contact pour offrir une expérience client fluide et homogène. L’intégration récente de l’intelligence artificielle et de l’automatisation transforme profondément le customer care. Les chatbots, assistants virtuels et autres outils d’IA permettent de gérer un volume croissant de demandes tout en offrant des réponses personnalisées. Par ailleurs, l’analyse prédictive et le traitement du langage naturel améliorent la compréhension des besoins clients, renforçant ainsi la qualité du service.
II. Mutation du customer care : entre attentes client et sophistication technologique
1. Des attentes clients en constante évolution
À l’ère numérique, les consommateurs sont de plus en plus exigeants. Ils attendent des réponses instantanées, des interactions personnalisées et une disponibilité 24/7. Cette évolution est largement influencée par des géants du numérique comme Amazon ou Netflix, qui ont redéfini les standards de l’expérience client. Selon une étude de Medallia, 61 % des consommateurs sont prêts à dépenser davantage auprès d’une entreprise offrant une expérience personnalisée, et 82% affirment que ces expériences influencent leur choix de marque au moins la moitié du temps. De plus, les clients comparent désormais leurs expériences non plus uniquement entre concurrents directs, mais avec les meilleures interactions vécues, tous secteurs confondus. Cette « ubérisation » des attentes impose aux entreprises de repenser leur approche du customer care.
2. L’essor de l’omnicanal et de la personnalisation
Pour répondre à ces nouvelles attentes, les entreprises adoptent des stratégies omnicanales, intégrant divers points de contact tels que les sites web, les applications mobiles, les réseaux sociaux, les chats en direct et les centres d’appels. L’objectif est d’offrir une expérience client fluide et cohérente, quel que soit le canal utilisé. Salesforce souligne l’importance de la personnalisation omnicanale, permettant aux entreprises de créer des relations plus solides et de fidéliser davantage leurs clients.
La personnalisation est devenue un vecteur clé de fidélisation dans les stratégies de customer care. Loin de se limiter à un prénom dans un courriel ou à une segmentation grossière, elle s’appuie désormais sur l’exploitation fine des données comportementales : historique de navigation, fréquence d’achat, moments d’entrée en contact avec le support, temps de réponse souhaité, tonalité du discours, etc. L’IA permet aujourd’hui d’analyser ces signaux faibles pour construire un profil client dynamique, capable d’orienter en temps réel les réponses, le ton et le canal de communication les plus pertinents. Ainsi, un client habitué à interagir via WhatsApp en fin de journée recevra spontanément un message sur ce canal, au bon moment, avec une solution anticipée à son besoin récurrent.
Ce type de personnalisation s’apparente à une relation client prédictive. Elle permet d’identifier un problème avant qu’il ne soit exprimé ou de proposer un produit complémentaire pertinent sans paraître intrusif. Par exemple, une entreprise de e-commerce pourra proposer un échange proactif si un client consulte plusieurs fois la FAQ sans initier de démarche.
Cette ultra personnalisation basée sur les algorithmes permet d’augmenter le taux de satisfaction des clients, de renforcer les liens de confiance entre les entreprises et leurs clients mais également d’augmenter le taux de conversion des demandes de support en opportunités commerciales. Selon Salesforce, 73 % des clients s’attendent à ce que les entreprises comprennent leurs besoins personnels, et 62 % considèrent qu’une expérience personnalisée augmente leur fidélité à la marque.
Cependant, cette puissance nécessite un cadre éthique solide : transparence sur l’usage des données, consentement explicite, et garde-fous contre les effets intrusifs ou manipulateurs. C’est à ce prix que la personnalisation cessera d’être perçue comme une surveillance et deviendra une véritable marque de soin relationnel.
3. Le customer care et le respect de l’utilisateur
Cette capacité à personnaliser radicalement l’expérience client soulève des questions éthiques fondamentales. La frontière entre service pertinent et surveillance intrusive peut être jugée trop fine par les utilisateurs. Lorsque les clients perçoivent que l’entreprise anticipe leurs besoins avec trop de précision, sans qu’ils aient eu conscience d’avoir fourni cette information, un sentiment de méfiance peut apparaître avec un effet contre-productif : perte de confiance, sentiment de manipulation jusqu’au rejet de l’interaction. Pour éviter cet écueil, les entreprises doivent s’appuyer sur un cadre éthique structuré, autour de trois notions :
- La transparence sur l’usage des données
Il s’agit d’expliquer clairement quelles données sont collectées, comment elles sont utilisées et dans quel but. Cette transparence doit être lisible, non dissimulée dans des conditions générales illisibles. Elle est aujourd’hui une exigence normative mais aussi une condition de confiance relationnelle.
- Consentement éclairé et explicite
L’utilisation des données à des fins de personnalisation doit s’accompagner d’un consentement réel, non biaisé par le design (dark patterns). Ce consentement peut évoluer : l’utilisateur doit pouvoir le retirer ou le restreindre à tout moment. Ce principe est renforcé par le RGPD et les futures obligations du règlement IA européen (AI Act).
- Limiter les effets manipulateurs ou intrusifs
L’IA permet des formes de nudging sophistiquées. Les entreprises doivent veiller à ce que ces mécanismes n’exercent pas une influence excessive ou perçue comme invasive. Personnaliser ne doit pas conduire à exploiter les biais cognitifs du client, mais à mieux le servir.
En respectant ces garde-fous, la personnalisation devient une preuve d’attention, et non une ingérence. Elle s’inscrit alors dans une logique de care sincère, où la technologie n’est pas un outil de contrôle, mais un vecteur de proximité éthique.
4. L’intégration de l’IA dans le customer care
L’intelligence artificielle (IA) joue un rôle croissant dans la transformation du customer care. Elle permet d’automatiser les tâches répétitives, d’analyser les sentiments des clients et de fournir des réponses instantanées. Par exemple, les chatbots alimentés par le traitement du langage naturel (NLP) peuvent comprendre et répondre aux requêtes des clients de manière naturelle et contextuelle.
Des entreprises comme Verizon ont intégré l’IA pour améliorer leur service client. En collaborant avec Google, Verizon a lancé un assistant IA capable de gérer des tâches telles que la gestion des mises à niveau, les questions de facturation et la recherche d’économies. Cet assistant IA vise à traiter efficacement les problèmes courants, tout en transférant les cas plus complexes à des agents humains lorsque nécessaire. theverge.com
L’IA permet également une personnalisation accrue. En analysant les données des clients, elle peut anticiper leurs besoins et leur proposer des solutions sur mesure. Cette capacité à offrir une expérience client proactive et personnalisée est un atout majeur pour les entreprises.
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