Selon une estimation de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) publiée en 2019, la contrefaçon couterait, chaque année, plus de 60 milliards d’euros à l’économie européenne (concernant plus de 10 secteurs clés de l’économie) et dépasserait les 500 milliards de dollars à l’échelle mondiale.
Selon l’Unifab (Union des fabricants pour la lutte contre la contrefaçon), elle représente même 3,3% du commerce mondial. En France, elle occasionnerait 6,7 milliards d’euros de pertes de ventes directes et 38.000 emplois supprimés chaque année. Toujours selon l’association, les saisies de biens contrefaits auraient augmenté de 50% en 2019 en Europe, ce qui prouve, conclue l’UNIFAB, que les services des douanes redoublent de vigilance face à l’afflux de biens venant d’Asie du Sud Est principalement. L’essor du commerce en ligne contribue nettement à l’explosion du commerce illégal de biens contrefaits : 70% des ventes de biens contrefaits se passent en ligne. Pour preuve, sur 90.000 constatations effectuées par les douanes européennes, 85% se sont déroulées dans les centres de tri postaux ainsi que sur les plateformes de fret, c’est-à-dire dans des colis de petits volumes. Si le commerce de faux à grande échelle à toujours court (les cigarettes (21,3%), les allumettes (20%), les produits d’emballage (13,6%), les jouets (9,6%), ainsi que les vêtements (3,9%) sont toujours en tête de liste), il est plus compliqué de lutter contre la contrefaçon à petite échelle via la vente en ligne sur internet.
Qu’est-ce que la contrefaçon ?
L’INPI (Institut Nationale de la Propriété Industrielle) définit la contrefaçon comme la reproduction, l’imitation ou l’utilisation totale ou partielle d’un droit de propriété intellectuelle sans l’autorisation de son propriétaire. Il peut s’agir d’une marque, d’un modèle, d’un brevet, d’un droit d’auteur, d’un logiciel, d’un circuit intégré ou d’une obtention végétale. Les conséquences de la contrefaçon, au-delà de l’impact économique pour les industries, peuvent être dangereuses pour les consommateurs : malfaçons, non-respect des normes, utilisation de produits interdits et de matières dangereuses, peuvent entraîner des situations de mise en danger de la vie du consommateur. Informer et former les consommateurs sont donc essentiels à la prise de conscience des dangers que représentent les biens contrefaits.
Pour faire face à ce monstre économique difficilement identifiable, de nombreuses solutions technologiques sont mises en œuvre. Il faut dire que le marché mondial de la lutte contre la contrefaçon a de quoi attirer de nombreux acteurs : il devrait atteindre 12 milliards de dollars en 2020 pour un taux de croissance de 8% par an.
Afin de capter ce marché porteur, les entreprises technologiques de lutte contre la contrefaçon se positionnent sur quatre grandes technologies :
• les technologies de suivi : track and trace
• les technologies cachées : covert technologies
• les technologies apparentes : overt technologies
• les technologies « légales ou expertes » : forensic technologies
C’est à ces technologies porteuses d’espoir que nous allons nous intéresser dans cette nouvelle note de veille.
Les technologies au service de la lutte contre la contrefaçon
Les technologies « overt » : les sens au service de la traçabilité
La première famille d’outils de lutte contre la contrefaçon concerne les technologies dites « overt » que l’on peut traduire par apparentes ou perceptibles. Ces technologies sont les plus simples puisqu’elles mobilisent les sens de l’être humain : il peut s’agir de solutions visibles à l’œil nu, sensibles au toucher ou, pour certaines, à l’ouïe. Ces méthodes sont intéressantes car elles sont accessibles au grand public sans avoir recours à des machines ou des techniques sophistiquées. Les consommateurs finaux sont donc les principales cibles de ces méthodes car elles leur permettent d’identifier eux-mêmes les contrefaçons. Outre leur simplicité, ces méthodes sont également très rapides à mettre en œuvre. En revanche, elles souffrent de quelques limitations qui font qu’elles sont en perte de vitesse actuellement.
Les limites des technologies « overt » :
• nécessitent une montée en connaissance et en compétence du consommateur. Celui-ci, ne pourra être sensible aux problématiques de la contrefaçon que s’il est bien informé sur les conséquences sanitaires, économiques et sociales mais aussi sur les techniques – même basiques – de lutte contre la contrefaçon.
• cette famille de technologies est malheureusement l’une des moins sûre car facilement reproductible (contrefaçon des technologies de contrefaçon en quelques sortes) ou imitable.
• les résultats de l’authentification sont sujets à interprétation ce qui peut renforcer leur caractère aléatoire.
Parmi les technologies les plus utilisées, on retrouve les filigranes et les hologrammes (qui constituent les principales mesures anti-falsification des billets de banques), les capsules sécurisées ou les encres : encres iridescentes, encres noires ou les encres à réflexion variable.
Les technologies Covert : révéler pour mieux protéger
Autre famille de techniques permettant de lutter efficacement contre la contrefaçon, les technologies « covert » (cachées en français) rassemblent les procédés qui nécessitent l’utilisation d’outils complémentaires pour mettre en évidence la-dite protection. En ce sens, elles sont réservées aux professionnels. Contrairement aux technologies précédentes, la méthode covert présente l’avantage de ne pas être visible, donc difficilement repérable par les contrefacteurs. Par ailleurs, autre avantage de ces méthodes, la rapidité de l’évaluation du caractère frauduleux du produit. L’idée n’est pas d’utiliser ces méthodes pour évaluer la qualité des produits mais pour déterminer s’ils ont été contrefaits. Un simple indicateur suffit généralement. Du coté des inconvénients, outre la nécessité d’être équipé des machines et outils nécessaires à l’étude des indicateurs de protection, la méthode n’est pas infaillible : une fois que le procédé a été découvert par les contrefacteurs, ils ont la possibilité de l’imiter.
Parmi les technologies « covert » que nous pouvons citer, nous retrouvons :
• les nano-tags (micro dispositifs de sécurisation réalisés par assemblage dirigé de nanoparticules)
• le codage laser
• les particules luminescentes
• les encres (encres thermiques, encres multifuges, encre anti-stokes ou encres aveugles)
Goyalab est une entreprise bordelaise spécialisée dans la spectrométrie. Elle propose, parmi ses solutions technologiques à fort potentiel, une gamme de spectromètres de poche IndiGo fluo qui offrent une lecture nomade, immédiate de tout produit ayant un marquage fluorescent. Ces spectromètres permettent grâce à une source ultra-violet (UVA, UVB ou UVC customisable à la demande) d’activer ces traceurs fluorescents et d’en lire la fluorescence de manière instantanée sur un PC, une tablette ou un smartphone grâce à des applications dédiées. Les domaines d’application sont : l’authentification des traceurs de timbres fiscaux, l’authentification des traceurs de billets de banques, l’authentification des traceurs sur étiquettes (Pharma, Chimie) et l’authentification des traceurs dans le domaine de la traçabilité ou de l’anti-contrefaçon.
Les techniques forensic : le recours aux méthodes scientifiques
Les techniques légales (ou en anglais « forensic ») sont des techniques récentes qui font appel à des procédés scientifiques de très haute technologie. Ces procédés ne sont pas visibles à l’œil nu et nécessitent l’utilisation de machine perfectionnées réservées aux douanes ou à la police scientifique. Les marqueurs utilisés dans le cas des techniques forensic sont uniques et peuvent être mobilisées comme preuve légale (dans le cas de procès). On retrouve ici les marqueurs ADN ou les marqueurs biochimiques.
La filière alimentaire est particulièrement attentive à ces techniques car elle permettent une lutte à grande échelle et peuvent « facilement » être mise en place directement dans les produits, comme, dans l’exemple de la traçabilité de l’huile d’olive, celui du génotypage de la viande bovine, voire le café dans le cadre de la traçabilité des produits à l’exportation.
Olnica, entreprise rennaise issue de travaux de recherche de Nicolas Kerbellec à l’INSA de Rennes, propose un traceur chimique, plus résistant que les traceurs à base d’ADN (notamment aux U.V.), basé sur une combinaison de terre rares, d’éléments du tableau périodique comme des minéraux particuliers. Ces solutions ont la particularité de s’adapter à chacun des besoins des industriels et des clients. Au-delà de la solution chimique, Olnica propose tous les outils (capteurs, application mobile, logiciel backoffice) nécessaire à la protection et l’authentification de biens et de produits comme dans le cas du marché du luxe.
Les avantages de cette méthode chimique en constituent également les principaux inconvénients :
• quasiment impossible à mettre en œuvre sans des connaissances pointues
• accessible aux scientifiques uniquement donc n’est pas une technique grand public.
• les délais de traitement de l’information récoltée peuvent parfois être très long ce qui pose un problème de temporalité et en réduit l’usage à certains types de biens et à certaines circonstances (dans le cadre de saisies douanière par exemple).
Les techniques track and trace : l’avenir de la lutte contre la contrefaçon
Les technologies « track and trace » (en français : de traçage) sont des procédés de sérialisation (codage d’une référence produit) qui peuvent servir au marquage anti-contrefaçon. L’intérêt de ces technologies c’est qu’elles couvrent tout le cycle de vie du produit depuis sa fabrication jusqu’au consommateur final. Ce dernier peut alors comparer l’identifiant du produit avec celui créé par le producteur : si le numéro de série correspond le produit est authentique, si non, il existe un risque que le produit soit un faux. Ces procédés permettent également d’apporter des informations relatives à la provenance, la localisation, les conditions de stockage, etc. Ainsi, chaque acteur impliqué tout au long de la chaine de fabrication-distribution-commercialisation est en mesure de contrôler la provenance et l’authenticité du produit qu’il a entre les mains.
Les avantages de cette méthode de traçage sont la possibilité rapide d’authentification et la possibilité de stocker des informations dans le codage. Du côté des inconvénients, on retrouve la nécessité de posséder un outil de décryptage. Certains critiquent également l’utilisation parfois dévoyée de ce procédé beaucoup plus utilisé pour l’identification plutôt que pour l’authentification. On retrouve dans cette famille les codes-barres, les puces NFC, les QR code ainsi que la technologie blockchain.
Parmi les exemples que l’on peut citer, l’entreprise bordelaise Meditect développe des solutions de traçabilité des médicaments basées sur la blockchain. Grâce à un QR Code placé sur la boîte qui certifie le numéro de série unique et infalsifiable (puisqu’enregistré grâce au protocole de la blockchain), l’application Meditect permet au consommateur ainsi qu’au pharmacien d’officine de s’assurer de l’authenticité du moindre médicament qu’il va acheter ou vendre. Le principal marché pour cette solution se trouve dans les pays en développement (et plus particulièrement ceux d’Afrique) où le trafic de faux médicaments entraine, chaque année, la mort de près d’un million de personnes ! Danone de son côté utilise la blockchain pour tracer et authentifier ses laits infantiles, quand Labeyrie l’utilise pour certifier la provenance de ses saumons norvégiens.
Le monde de l’art est également friand de ces technologies Track and Trace et plus particulièrement de la blockchain : authentification et lutte contre les fausses peintures, identification et authentification des droits de propriété, suivi et management des collections d’œuvres, mise en relation entre artistiques, professionnels de l’art et collectionneurs. On retrouve des entreprises comme Art Rights, ou Blockchain Art Collective.
Au final, d’après P&S Intelligence, le marché mondial des technologies de lutte contre la contrefaçon se découpait comme suit, en 2017 :
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