Dans le cadre de notre service de veille, Unitec vous propose régulièrement des ensembles d’articles thématiques pour décrypter les grands sujets de l’innovation. Cet article est rédigé par Alexandre BERTIN responsable de la veille à Unitec et Marie-Camille Maumont, Master 1 DNHD, ISIC, Université Bordeaux Montaigne.
Vins et spiritueux : entre faussaires et professionnels
Le marché du vin, des spiritueux et de l’alcool vit un bouleversement. Alors que la crise du coronavirus bat son plein avec comme conséquence une fermeture ou une baisse d’activités des bars et restaurants, les professionnels de l’alcool voient les lignes de consommation bouger. Moins de vin, plus de bières et de cocktails, arrivée massive des nouvelles boissons. « Le vin est, en effet, le seul alcool dont les ventes devraient reculer, certes de 0,2 % seulement, sur la période 2018-2022, estime IWSR (International Wine and Spirit Record), surtout à cause du ralentissement en Chine. Les vins pétillants, grâce à leur succès aux Etats-Unis, en Italie et en Russie, restent néanmoins sur une pente ascendante.
A l’inverse des vins « tranquilles » (non pétillants), les mélanges préparés, portés par les marchés américains et japonais, devraient enregistrer un bond de 5,6 % sur cette période. Quant au cidre, très apprécié des Britanniques et des Sud-Africains, il est lui aussi promis à une meilleure croissance, de 2 %, que tous les autres alcools. Les ventes de bière devraient augmenter de 0,7 % et les spiritueux devront se contenter d’un petit +0,6 % » selon Marie-Josée Cougard des Echos.
Pour autant, les vins et spiritueux font partie des produits pour lesquels le marché de la contrefaçon est l’un des plus importants, et ce, partout dans le monde. Selon une études de l’EUIPO (Office de l’Unions Européenne pour la propriété intellectuelle) menée en 2016 (il n’existe pas de chiffres plus récents à ce jour), les pertes annuelles (en termes de vente) auraient atteint 530M€ pour les vins et 740M€ pour les alcools occasionnant par-là une perte de 4815 emplois dont 545 en France.
Le marché du vin : un terrain d’affrontement
Ce problème de la contrefaçon n’est pas récent et touche tout autant les vins de consommation courante (dont la contrefaçon peut être dangereuse pour les consommateurs) que les vins de collections où les pertes peuvent s’estimer parfois en millions d’euros. Mais aujourd’hui, les techniques utilisées par les faussaires se modernisent, aussi, les offreurs de solutions de protections contre la contrefaçon et pour le traçage des produits se doivent de faire preuve d’originalité pour proposer des outils de protection fiables et difficilement reproductibles et des technologies de détection efficaces et solides.
Contrairement à d’autres biens et produits, le domaine du vin et des alcools souffrent d’une multitude d’angles d’attaque accessibles aux contrefacteurs : ainsi, il est possible d’imiter le contenu, (à savoir le liquide présent dans la bouteille) le contenant, l’étiquette et la contre étiquette, le bouchon, la capsule et le packaging. Autant d’éléments qui font de la lutte contre la contrefaçon dans les alcools une entreprise complexe et pas toujours couronnées de succès. C’est la raison pour laquelle, en plus des quatre grandes familles vues dans la partie 1 de ce dossier, il est nécessaire d’en ajouter deux : les dispositifs anti-effractions (Tamper evident), et la technologie NFC.
Dispositifs anti-effractions
Les dispositifs anti-effractions sont, de manière générique, « un type de dispositifs empêchant toute manipulation non autorisée car, si la manipulation se produisait, ils la mettraient en évidence face à un contrôleur ou un observateur externe. Par conséquent, les scellés de sécurité dissuadent toute tentative d’ouverture ou de falsification de l’emballage. » Dans le domaine viticole, on retrouve ici les capsules et les manchons de bouchons scellés. A titre d’exemple, dans le champagne, Le syndicat général des vignerons de Champagne a travaillé avec l’entreprise Advanced Track and Trace afin de créer la coiffe connectée Cloé. Il s’agit d’une coiffe intelligente qui garantit un réel suivi des bouteilles de champagne. Pour assurer cette traçabilité, ce système de protection numérique se compose d’une feuille d’aluminium qui sert à recouvrir le bouchon et la collerette. Cette feuille est imprimée de deux QR Codes, d’un médaillon holographique et du numéro d’identification de la bouteille. Des accords passés avec les Douanes françaises permettront aux douaniers de reconnaître les contrefaçons des véritables bouteilles en scannant simplement les QR Codes.
Pour autant, la lutte contre le refilling (c’est-à-dire le remplissage de bouteilles avec un contenu différent que celui qui devrait s’y trouver) passe par deux univers technologiques qui ne sont malheureusement pas infaillibles : en incorporant à la capsule un authentifiant (marquage sécurisé, nanoparticules…) ou en y associant un scellé (étiquette, marquage « à cheval » …).
Technologie NFC
A l’autre bout du spectre, on trouve une autre famille de méthode de protection basée sur la technologie NFC (Near Field Communication) qui se développe très rapidement. Cette technologie permet l’échange d’informations sécurisés entre des périphériques. Elle permet donc concrètement à chaque utilisateur de smartphone équipé de la NFC de pouvoir authentifier une bouteille. La NFC présente par ailleurs de réels avantages en termes de facilité de contrôle, et de difficulté d’imitation par les contrefacteurs. L’entreprise Wid, par exemple, propose un outil de traçabilité et d’authentification basé sur la technologie NFC. Grâce à la solution Wid-Track, les viticulteurs peuvent, par l’intermédiaire de puces électroniques collées sous les étiquettes, offrir aux consommateurs une solutions de contrôle de l’authenticité de la bouteille qu’ils tiennent entre les mains grâce à une application smartphone. Cette application, en plus de fournir une attestation de véracité, offre la possibilité de consulter d’autres informations sur le vin en question (cépage, méthode de vinification, etc.). L’entreprise Selinko travaille également sur la mise à disposition d’outils technologiques basés sur la NFC. Contrairement à Wid qui se concentre sur une seule puce, Selinko propose 4 niveaux de sécurité qui peuvent être combinés au niveau de l’étiquette, au niveau du col, du bouchon et de la capsule. En fonction de la solution retenue, la puce NFC assure la traçabilité, l’authentification et/ou la détection d’ouverture comme le montre le schéma ci-dessous.
Autres dispositifs de lutte contre la contrefaçon
De nombreuses entreprises proposent aux acteurs de la filière Vin et Spiritueux des solutions technologiques de lutte contre la contrefaçon. L’analyse du contenu reste toutefois une mission délicate lorsque l’on souhaite conserver l’intégrité de la bouteille et du système de fermeture (bouchon et capsule) que ce soit pour ne pas altérer la qualité du vin ou pour des raisons économiques (collectionneurs etc.).
La résonance magnétique nucléaire
En 2002, une équipe de chercheurs californiens proposaient un outil d’analyse basée sur la résonance magnétique nucléaire afin d’évaluer le degré de pollution et d’oxydation du liquide, preuve d’une altération donc d’une possible manipulation. Comme le souligne Coralie Martin dans sa thèse de doctorat, « l’intégrité de la capsule et du bouchon peut ainsi être vérifiée. Malgré toutes ces précautions, certains faussaires réalisent un trou pratiquement invisible dans la partie inférieure de la bouteille authentique pour la vider et la remplir à nouveau. » Partant de ce constat, son travail de recherche a consisté à montrer la pertinence d’une méthode alternative basée sur la spectroscopie optique d’émission de fluorescence (dite Raman) pour l’analyse du vin. Bien que cette méthode soit encore de l’ordre de la recherche, elle ouvre une voie à de nouvelles méthodes non-invasives et non destructrices du vin.
Les codes à bulles
Dans la famille des méthodes dites « covert » Prooftag propose une solution innovante assurant l’authenticité d’un vin. Grâce à des codes à bulles qui sont scellés sur le col de la bouteille, le consommateur est assuré que le bouchon et la capsule n’ont pas été altérés depuis la mise en bouteille. L’originalité de cette solution vient du code lui-même, un code constitué d’un polymère translucide au cœur duquel se génère de manière aléatoire un ensemble de bulles, qui constituent la fiche d’identité du produit. Chaque Code à Bulles est unique et impossible à reproduire, même par la société Prooftage.
Mais l’authentification des vins et des spiritueux c’est également la capacité de contrôler, à chaque étape de la chaine de distribution, la provenance des bouteilles.
La blockchain
Dans le cadre de l’incubateur Start-up Win – Bernard Magrez, lancé en janvier 2021 et opéré en partie par Unitec, la société InWine propose d’utiliser la blockchain pour identifier, tracer et authentifier chaque bouteille de vin tout au long de la chaine d’approvisionnement. Pour se faire, elle développe un code, appelé IWIN (acronyme pour « International Wine Identification Number »). Ce code est réputé unique pour chaque vin, global, immuable et permet d’identifier de façon unique un vin, quelle que soit son origine, dans son format et son emballage. IdealWine, l’entreprise historique de ventes aux enchères de grands crus, s’est également lancée dans la blockchain par l’intermédiaire de son service WindeDex. Dédié aux échanges sur le marché secondaire du vin, notamment dans le cadre des lots vendus aux enchères et à destination des amateurs de vins, WINEDEX a vocation à être étendu aux producteurs et aux autres acteurs de la chaîne de valeur du vin, tels que les négociants, entrepositaires, etc. Les bouteilles sont équipées d’un TAG RFID inviolable qui permet de garantir de manière permanente le lien entre la bouteille de vin et les informations contenues dans la blockchain.
Malgré le déploiement de techniques toujours plus sophistiquées et efficaces, au jeu du chat et de la souris, ce sont encore et toujours les malfaiteurs qui ont un coup d’avance sur la répression des fraudes. Quel que soit le marché sur lequel porte la fraude et la contrefaçon, les sommes en jeu sont colossales suscitant un appétit croissant pour le gain et une ingéniosité toujours renouvelée. Pour autant l’écart entre les chasseurs et les chassés se réduit toujours un peu plus.