Dans le cadre de notre service de veille, Unitec vous propose régulièrement des ensembles d’articles thématiques pour décrypter les grands sujets de l’innovation. Cet article, rédigé par Alexandre BERTIN responsable de la veille à Unitec et Julia Serres étudiante en Master 1 Conception de projet numérique et multimédia à l’ ISIC – Université Bordeaux Montaigne, est dédié à l’art génératif : les algorithmes au service de la création.
De nos jours la technologie est omniprésente et n’a de cesse d’envahir notre quotidien. Dans le domaine de la créativité, la technologie a créé un nouveau monde artistique où la multidisciplinarité règne en maître. De cette dernière sont nés les arts numériques, dont l’art génératif.
L’art génératif c’est quoi ?
L’art génératif est une pratique utilisant les algorithmes pour générer de manière autonome une oeuvre. Tout d’abord, vous créez des règles qui fixent des limites au processus de création. Ensuite, un ordinateur suit ces règles pour produire de nouvelles œuvres. Contrairement aux artistes traditionnels qui peuvent passer des jours, voire des mois, à explorer une idée, les artistes du code génératif utilisent des ordinateurs pour générer des milliers d’idées en quelques millisecondes.
Artistes d’un nouveau genre
Les arts génératifs visent l’ensemble des arts créatifs. En effet, le recours à l’algorithmie peut être appliqué aux arts plastiques, à la chorégraphie, à la littérature, au cinéma ainsi qu’à la musique. Dans tous les cas, le principe est le même : l’artiste confie à la machine le pouvoir créatif par l’intermédiaire d’un système de génération automatique.
Julien Gachadoat, enseignant à l’Université Bordeaux Montaigne et artiste numérique a exposé pour la première fois ses oeuvres à la Métavilla en octobre 2020 à Bordeaux. Co-fondateur du studio numérique 2Roqs à Bordeaux, il utilise le langage informatique comme outil de création artistique. Il utilise la machine pour sa puissance de calcul, lui permettant d’explorer un certain champ de formes graphiques. La spécificité de cet artiste réside dans son processus de création. Il programme des algorithmes qui vont diriger une machine, qui à son tour va retranscrire l’œuvre sur du papier grâce à des traceurs.
A l’instar de Julien Gachadoat, Michael Hansmeyer est un architecte et un programmeur qui explore l’utilisation des algorithmes pour générer et fabriquer des formes architecturales complexes. Ses travaux récents comprennent la production d’une Muqarnas (voûtes ornementales) élaborée pour le musée d’art Mori à Tokyo, et l’installation d’un décor de grotte pour la Flûte enchantée de Mozart. Son processus d’art génératif lui permet de créer des objets de grande ampleur. La conception par algorithme permet une complexité et une richesse de formes qu’il serait presque impossible de dessiner à la main, et qui serait tout aussi laborieuse à dessiner dans un programme de 3D.
Et si demain les artistes étaient remplacés par des machines ? C’est l’une des questions que soulèvent les travaux de Mario Klingemann, artiste allemand. Pionnier dans l’art de générer en utilisant l’intelligence artificielle, il utilise notamment le Deep Learning et les réseaux de neurones artificiels. Il appelle son mouvement, la neurographie. Son installation Memories of Passersby I est particulièrement intéressante. Il s’agit d’un meuble contenant le « cerveau » de l’ordinateur, donc l’intelligence artificielle, et de deux écrans encadrés. La machine travaille en temps réel pour produire des portraits troublants de visages masculins et féminins imaginaires, sur les écrans.
Contrairement à d’autres œuvres d’art issues de l’intelligence artificielle qui sont des produits finaux créés par l’homme, la machine de Mario Klingemann crée ces portraits pendant que vous la regardez. Elle permet aux spectateurs de « regarder un cerveau d’IA penser en temps réel ». Les images irréelles apparaissant sur les écrans et provoquées par ces réseaux sont générées à partir d’une base de données de portraits du XVIIe au XIXe siècle dans laquelle l’algorithme va puiser et apprendre. Il y a une volonté de l’artiste de se retirer le plus possible du processus, « Puis-je faire une machine artistique qui pourrait être considérée comme autonome ou y aura-t-il toujours un cordon ombilical qui me liera à ma création ? », telle est la question.
Silk, est une application permettant à tous de se lancer dans l’art génératif ! Sans aucune connaissance en programmation et en algorithmie, l’artiste en herbe va pouvoir dessiner sur l’écran de sa tablette et générer un dessin que l’intelligence artificielle se sera appropriée. L’humain ne fait que guider le point sur l’écran, l’intelligence artificielle s’occupant de traduire ses mouvements en dessin artistique.
Le design génératif ou comment les industriels s’emparent de l’art génératif
Le « design génératif » (Generative Design) consiste à élaborer une « machine » (un logiciel, au sens démarche logique systématique) destinée à générer des solutions et dont on prédétermine le comportement. Contrairement au design tel qu’il est pratiqué habituellement – c’est-à-dire par une phase de conception de l’objet – on va confier à l’ordinateur un ensemble d’objectifs et de contraintes et charger ce dernier du design de l’objet en question. Ces contraintes peuvent être volumiques, de poids, de prix, de structure ou de résistance. L’algorithme va alors analyser et combiner l’ensemble de ces critères pour aboutir à des milliers de propositions possibles, basées sur l’ensemble des objectifs et contraintes fixées. Par affinage, il déterminera un sous-ensemble d’options les plus proches de ce que le concepteur aura défini. Celui-ci n’aura plus qu’à analyser ces options et de sélectionner celles qu’il lui semble le plus intéressant d’industrialiser.
Autre point intéressant du design génératif, c’est la possibilité de confier à la machine la conception de pièces complexes pour l’être humain. En définissant des contraintes, l’homme peut pousser l’algorithme à proposer des pièces dont les formes sont optimisées et parfaitement efficientes. Airbus a ainsi confié la conception des cloisons intérieures de certains de ses avions aux algorithmes d’Autodesk, leader mondial du design génératif industriel. Résultats : des cloisons plus légères, plus isolantes, plus efficientes et économes. L’industrie du drone utilise également le design génératif pour concevoir de nouveaux engins. Satori mixe design génératif et impression 3D pour concevoir des drones originaux. Le recours à l’intelligence artificielle a permis de concevoir un drone léger de plus de 30%. Ce design optimisé n’aurait jamais pu être atteint par des designers professionnels.
Autre domaine qui se penche de plus en plus sur le design génératif : l’architecture. Dans un projet architectural, il permet de partir de contraintes existantes (emplacement disponible, types de matériaux utilisés, etc.) et de formuler les solutions possibles à un problème posé. Pour un immeuble de bureaux, par exemple, l’outil pourra formuler l’éventail des dispositions offertes pour que les usagers aient accès à la lumière du jour, soient à proximité des espaces de travail collectifs ou éloignés des sources de nuisance (bruit, perturbations visuelles). Parkyze est une solution basée sur le generative design. Elle permet de calculer la meilleure configuration pour un parking couvert, en tenant compte des contraintes règlementaires. Parkyze promet de faire gagner en moyenne 1 place toutes les 30 places de stationnement. La société se rémunère sur un pourcentage du gain généré supplémentaire.
Voir la présentation de Parkzyre.
Sidewalk Labs, une agence d’urbanisme, filiale d’Alphabet, la maison-mère de Google. La société a créé sa propre solution basée sur le design génératif. L’outil doit servir à formuler les meilleures hypothèses pour l’aménagement d’un îlot ou d’un quartier. Des critères tels que la densité de population, l’offre de transport ou l’ensoleillement peuvent être pris en compte.
Les industriels ont parfois recours au design génératif pour intégrer à la notion d’efficience celle d’esthétique. Par exemple, le MX3D est un pont de métal de 12 mètres construit dans le quartier rouge d’Amsterdam. Il est l’oeuvre designers hollandais du Joris Laarman Lab. Il a la particularité d’avoir été construit grâce à la technique de l’impression 3D et en recourant au generative design. Le premier violon imprimé en 3D par la firme Dassault Systèmes en partenariat avec Laurent Bernadac, ingénieur de l’INSA de Toulouse et musicien virtuose : le “3Dvarius”. En parallèle, un demi-globe a accueilli des variations lumineuses suivant le rythme de la musique. Un spectacle d’art génératif qui a marqué les premiers pas de Dassault dans la sphère culturelle.
Dassault Systèmes, 3Dvarius, 2020
Dans le registre de l’environnement c’est le groupe Suez qui innove en confiant l’habillage artistique d’un puits de carbone à l’artiste autrichien Peter Kogler. Artiste pionnier de la création assistée par ordinateur, il se met ici au service de la cause environnementale et affirme que la technologie peut donner naissance à des solutions concrètes concernant les enjeux du changement climatique et de nos écosystèmes.