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S’il est un matériau qui fait parler de lui depuis quelques années pour ses propriétés exceptionnelles c’est bien le graphène. Matériau bidimensionnel se présentant sous la forme d’une feuille d’atomes de carbone en structure de nid d’abeille, il est présent à l’état naturel dans le graphite. En 1947, l’existence du graphène a été théorisée par Philip Wallace mais il a fallu attendre 2004 pour qu’il soit extrait la première fois par André Geim et Konstantin Novoselov qui reçoivront en 2010 le Prix Nobel de Physique pour cette découverte. Retour sur les potentiels disruptifs d’un petit prodige des matériaux.
1- Entre propriétés fantastiques et course à la production
Le graphène est doté de très nombreuses propriétés qui en font un matériau unique en son genre : plus dur que le diamant, il est aussi le matériau le plus fin et le plus léger qui soit, 200 fois plus résistant que l’acier et plus conducteur que le cuivre ; il est enfin transparent, déformable et sans reflet. Ce qui en fait sa particularité c’est qu’il couple trois propriétés essentielles : la transparence, la conductivité et la flexibilité.
C’est l’ensemble de ces propriétés qui poussent aujourd’hui nombres de chercheurs, de grands groupes et de jeunes start-up à trouver la méthode de production la plus fiable et la moins couteuse possible pour produire du graphène en grande quantité.
Les méthodes sont à la fois des méthodes mécaniques comme l’exfoliation qui consiste à détacher du graphite, à l’aide d’un ruban adhésif, les différentes couches successives de graphène répétant l’opération des dizaines de fois jusqu’à obtenir la couche la plus fine possible. Ou encore la méthode par épitaxie qui consiste à produire du graphène à partir de carbure de silicium[1].
Mais il existe également des méthodes synthétiques. En 2011, des chercheurs américains annonçaient avoir découvert un procédé simple, écologique et économique en brûlant du magnésium pur dans de la neige carbonique. D’autres en développant des méthodes plus fantasques. Plus près de nous, à Mérignac, une spin-off émanant du Centre de Recherche Paul Pascal du CNRS, Carbon Waters, a réussi à produire du graphène par « super-exfoliation ». Le procédé mis en place permet d’obtenir des nanomatériaux de très grande qualité et sans additif : l’eau de graphène. En effet, contrairement aux autres méthodes d’extraction qui n’arrivent pas à conjuguer haute qualité et coût raisonnable, la méthode issue de 15 années de recherche et du dépôt de 3 brevets permet d’obtenir des résultats prometteurs. Certaines entreprises (Graphenano, Graphmatech ou Graphene Frontiers) produisent un graphène pauvre en défaut (moins de 0,5%) mais très cher car il nécessite des moyens de production couteux, en utilisant la méthode CVD. D’autres, en utilisant la méthode RGO obtiennent un graphène de qualité médiocre mais beaucoup moins cher (Vorbeck, Graphenea).
2- L’industrie mise sur ce matériau de demain et les pouvoirs publics soutiennent la recherche
Si aujourd’hui nous assistons à une véritable course à la production de graphène, c’est que ses propriétés uniques offrent des perspectives commerciales très fortes. Les espoirs sont tels qu’en 2013, l’Union Européenne a retenu le graphène comme sujet d’un FET Flagship doté d’1 milliard d’euros avec pour objectif d’accélérer la mise au point et la commercialisation d’applications de ce matériaux prometteur. L’Université de Manchester a, de son côté, lancé le National Graphene Institute, véritable paquebot amiral alliant recherche fondamentale, recherche empirique et transfert de technologies vers les entreprises nationales et internationales partenaires. Dans le cadre du Graphene Flagship, une équipe de chercheurs de l’École polytechnique Chalmers en Suède a mis au point un photodétecteur en graphène capable de détecter des ondes de l’ordre du Terahertz, chose qu’aucun autre capteur n’est en mesure de faire. Ce photodétecteur pourrait permettre l’accélération du développement de la technologie 5G, renforcer la « vision » des voitures autonomes, notamment en situations délicates mais aussi d’évaluer les évolutions des plaies à travers les bandages et pansements.
L’électronique est l’un des secteurs qui attend le plus la démocratisation du graphène. Ses propriétés de transparence, de conductivité et de flexibilité pourraient permettre de créer des écrans souples pour les smartphones et les tablettes. Samsung, LG et Nokia sont dans les starting blocks de la course à l’écran flexible.
Toujours dans l’univers du smartphone, le graphène devrait révolutionner les batteries et à terme remplacer celles au Lithium-ion. Samsung a déposé fin 2017, aux Etats-Unis, un brevet protégeant sa découverte : l’enrobage par des billes de graphène du Lithium-ion permettrait des temps de charge de l’ordre de 20 minutes et un maintien des qualités dans le temps. Electjet promet une batterie externe de très haute performance en mobilisant également du graphène. Le graphène sera également utilisé sous forme d’aérogel permettant d’améliorer les supercondensateurs qui remplacent les batteries classiques pour certains usages bien spécifiques : conditions de stockage extrêmes, voitures électriques, etc. Imprimé en 3D à partir d’une encre à base d’oxyde de graphène en suspension dans l’eau et mélangé à de la silice, l’aérogel possède une structure plus régulière que les aérogels précédemment créés à partir d’autres matériaux comme la silice, le chrome ou l’oxyde d’étain.
Dans le domaine de la santé, le graphène ouvre des perspectives d’importance. Tout d’abord, le graphène pourrait permettre de désaliniser l’eau pour la rendre utilisable en agriculture, de la dépolluer pour la rendre propre à la consommation (le projet GraphAir semble très prometteur) ou pour extraire le lithium dans l’eau de mer, métal alcalin nécessaire au fonctionnement des voitures électriques.
Le monde médical place également de grand espoir dans l’utilisation du graphène pour lutter contre les cancers : le graphène possédant la capacité de s’accumuler sur le tumeurs, il pourrait faciliter la détection des cancers. Les applications biomédicales du graphène ne manquent pas : administration de médicaments ou thérapies géniques. L’exemple de l’utilisation du graphène pour l’amélioration des biocapteurs est intéressant. Des chercheurs suisses ont ainsi fabriqué un biocapteur infrarouge au graphène qui, grâce à ses propriétés propres, offre une plus grande sensibilité et une meilleure sélectivité spectrale des plasmons de graphène. Outre les secteurs de la biologie et de la chimie, l’utilisation de ces biocapteurs nouvelle génération pourrait se faire également dans les domaines industriels, la sécurité alimentaire ou encore l’environnement.
L’aéronautique et l’aérospatiale ne sont pas en reste : le graphène est actuellement testé en conditions spatiales dans des caloducs satellitaires et des voiles se déplaçant dans l’espace grâce à des photons et autres particules solaires. De même, il pourrait dans les années à venir équiper les ailes des avions afin de les rendre plus résistantes et les protéger de la foudre : le test sur Prospero un avion miniature aux ailes recouvertes de graphène semble une avancée en la matière. Enfin, en utilisant un gel à base de nanorubans de graphène, il est possible de créer un composite qui, étendu sur les pales d’un hélicoptère, permettrait de faire fondre de la glace dans un environnement à -20°C.
Mais le graphène s’invite également dans la vie de tous les jours. Ainsi, la marque de produits liés à l’univers du golf, Callaway, propose une gamme de balles de golf dans lesquelles des nanoparticules de graphène ont été ajoutées au noyau externe de chaque balle de golf. L’objectif est d’améliorer les performances générales ainsi que le contrôle de la balle.
Cependant, si le graphène semble promis à de grandes choses, il n’en reste pas moins qu’il est arrivé aujourd’hui à un moment charnière : concurrencé par d’autres matériaux 2D qui s’avèrent tout aussi prometteurs, le graphène doit tenir ses promesses s’il veut véritablement s’imposer sur le marché des matériaux innovants.
Auteur : Alexandre Bertin, Responsable Veille et Prospective
[1] Un échantillon de carbure de silicium est chauffé sous vide à 1 300 °C afin que les atomes de silicium des couches externes s’en évaporent. Après un temps bien déterminé, les atomes de carbone restants se réorganisent en fines couches de graphène.
Pour aller plus loin
Vidéo : Graphene Flagship
publiée en mars 2018