Polémiques et controverses autour de la 5G
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L’ARCEP a lancé fin septembre les enchères pour l’attribution des fréquences en France métropolitaine. Dans le même temps, des élus de gauche et écologistes réclament l’instauration d’un moratoire auprès du Président de la République et du gouvernement jusqu’à l’été 2021.

 

 

En effet, les enchères ont été réalisées « sans étude d’impact climatique et environnemental ni aucune consultation publique préalable« . Selon les signataires, “ l’utilité réelle de la 5G est loin d’être aussi évidente que le prétendent les opérateurs de téléphonie mobile ou le gouvernement. Malgré les alertes de nombreux citoyens, associations, élus, les attributions de fréquences sont prévues dans les semaines qui viennent sans qu’aucun véritable débat n’ait jamais eu lieu, le gouvernement justifiant sa précipitation au nom d’un prétendu retard français. Pourtant, des questions environnementales, sanitaires et démocratiques sont posées.” En réponse, le Président Macron a répondu, quelques jours plus tard, que la France “allait prendre le tournant de la 5G” et qu’il “allait tordre le cou à toutes les fausses idées”.

Pourtant, les polémiques et controverses, rumeurs et fausses nouvelles ne cessent de se répandre, que ce soit parmi les détracteurs de cette nouvelle technologie de télécommunication ou parmi ses plus fervents défenseurs. Bonne ou mauvaise pour l’environnement, conséquences néfastes sur la santé, enjeux autour de la sécurité des données ou questions autour des souverainetés nationales, la 5G agitent l’ensemble de la planète numérique.

Le cas Huawei & 5G : une guerre économique sous couvert d’espionnage

Dans le monde, seuls 5 grands groupes sont capables de produire des infrastructures 5G :

  • Ericsson (Suède),
  • Nokia (Finlande),
  • Huawei (Chine),
  • ZTE (Chine),
  • Samsung (Corée du sud).

On constate rapidement que les Etats-Unis sont absents du débat sur les infrastructures même s’ils possèdent sur leur territoire des industries capables de déployer des systèmes 5G comme Qualcomm, Verizon, Intel ou Cisco. Aujourd’hui, le Chinois Huawei est l’équipementier qui est en mesure de fournir le système 5G le plus complet et le moins cher. C’est la raison pour laquelle, il est très présent sur la scène internationale. C’est également la raison pour laquelle il est aujourd’hui pointé du doigt par les Etats-Unis.

 

5G et Huawei

 

Le géant chinois est accusé par ces derniers d’une proximité présumée avec le gouvernement chinois avec la crainte que son équipement puisse être utilisé pour espionner d’autres pays. C’est la raison pour laquelle les États-Unis ont interdit aux entreprises d’utiliser les équipements réseau Huawei dès 2012. Depuis 2018, les Etats-Unis, toujours, ont pris une série de mesures interdisant à Huawei de déployer ses réseaux ainsi que ses smartphones sur leur territoire. Fin janvier 2019, la justice américaine révèle 23 chefs d’accusation contre Huawei  pour vol et fraude présumés de secrets commerciaux. En mai 2019, le Président Trump signe un décret qui interdit aux entreprises américaines de s’équiper auprès de fournisseurs étrangers jugés à risque, comme Huawei, ce que fera Google dans la foulée.

Comme le montre l’excellente note de l’Institut Montaigne sur le sujet, le lien avec le pouvoir chinois est ineffaçable, du fait de la nature du système politique en Chine.” Ce lien – parmi les 160 000 salariés de l’entreprise, 12 000 serait membres du Parti Communiste répartis dans 300 cellules – serait à l’origine de l’attitude de la Chine à l’égard des Etats-Unis et plus généralement des pays qui attaquent l’entreprise chinoise, notamment par l’adoption de mesures nécessaires à la défense des “intérêts de développement légitimes d’un pays et de ses ressortissants”. La rhétorique interne à Huawei ressemble d’ailleurs à celle utilisée par le Parti Communiste Chinois, alors que la communication à l’égard des pays occidentaux fait montre d’une plus grande ouverture. Cette ouverture répond d’une stratégie internationale de séduction des grandes puissances à des fins commerciales, notamment en Europe.

 

Ville connectée 5G sur main

 

La situation européenne est caractéristique de la situation géopolitique du continent avec un “double fractionnement” : celui du marché des enchères et celui des normes de sécurité. Ainsi, chaque pays gère nationalement la question de la 5G avec ses propres règles et ses propres opérateurs qui se livrent une concurrence accrue. Ceci expliquant, selon l’Institut Montaigne, les différences de développement dans la construction de l’infrastructure 5G. Une carte interactive montre ainsi l’état actuel du développement de la 5G dans 30 pays européens, la présence de Huawei ainsi que la gestion par chacun des pays de ses relations avec l’opérateur. A titre d’exemple, les services de renseignement allemands et britanniques ont assuré que le risque d’espionnage par Huawei était gérable ou non-démontré et ne représentait pas un élément bloquant.

L’impact de la 5g sur la santé

Autre sujet de polémiques et controverses, les conséquences de la 5G sur la santé des humains. Depuis 2011, les champs électromagnétiques de radiofréquences sont classés comme potentiellement cancérogènes pour l’homme par le Centre International de Recherche sur le Cancer. Pour les détracteurs de la 5G, ces ondes auraient également des effets négatifs sur le cerveau avec une multiplication de personnes souffrant d’électrosensibilité, comme le souligne Sophie Pelletier, présidente de Priartem – Electrosensible de France. Les antennes 5G, qui seront multipliées comme nous l’avons vu dans la première partie, devraient ainsi augmenter l’exposition aux ondes des populations. En 2017, 170 scientifiques et médecins de 37 pays demandaient un moratoire sur le déploiement de la 5G jusqu’à ce que des études d’impacts sanitaires et environnementales sérieuses et indépendantes soient réalisées. Selon eux, les ondes émises par les antennes 5G s’ajouteraient au brouillard électromagnétique déjà produits par la 2G, la 3G et les 4G avec des conséquences désastreuses pour la santé.

 

 

Certains réclament à la mise en place d’un principe de précaution tant que les preuves d’innocuité des ondes émises n’ont pas été apportées. Les expériences des conséquences du tabagisme ou de l’amiante devraient amener les autorités à attendre des résultats concrets avant d’exposer les êtres humains à de telles ondes. Plusieurs municipalités en Europe ont décidé d’arrêter le déploiement de la 5G jusqu’à que preuve soit faite sur l’absence de danger. En Suisse, on compte les cantons de Genève, Jura, Kriens, et Neuchâtel. Plusieurs départements britanniques ont aussi stoppé son déploiement (Brighton, Hove, Devonshire, Shepton Mallet, Somerset, Frome, Totnes, Wells, Glastonbury, Trafford), de même pour des départements irlandais et dans certaines villes américaines. Le parlement australien a demandé une enquête sur les effets de la 5G sur la santé.

Pourtant, en 2018 une étude portant sur 4000 tumeurs cérébrales n’a pas trouvé d’association entre l’exposition aux ondes électromagnétiques et le risque de cancer. De même comme le montre le schéma ci-dessous, les fréquences utilisées par la 5G émettent des radiations non ionisantes très en-deça des fréquences qui sont néfastes pour la santé humaine comme les ultraviolet ou les rayons gamma. Ces résultats ont été obtenus après une étude longue de 7 ans menée par l’International Commission on Non-Ioninzing Radiation Protection. La commission a conclu que les recommandations émises en 1998 s’appliquaient à la 5G, même si au-delà des 6 GHz de nouveaux standards devaient être établis.

 

image spectre des ondes electromagnetiques

Aux Etats-Unis, la FCC (Federal Communications Commission, le gendarme américain des télécoms), avec le soutien de la Food and Drug Administration (FDA), a conclu, dans un rapport, que la 5G est tout aussi inoffensive que la 3G ou la 4G.

En France, l’Anses « a mis en évidence un manque de données scientifiques sur les effets biologiques et sanitaires potentiels liés à l’exposition aux fréquences autour de 3,5 GHz. De ce fait, les experts évalueront la possibilité d’extrapoler les résultats des travaux d’expertise antérieurs de l’Agence sur les impacts sanitaires des diverses technologies de communications existantes (3G, 4G, Wi-Fi, …) qui utilisent des fréquences proches de la bande 3,5 GHz, de 0,8 à 2,45 GHz. Concernant les fréquences plus élevées, entre 20 et 60 GHz, les données disponibles dans la littérature sont plus nombreuses, les travaux d’expertise s’attacheront donc à les analyser pour évaluer les impacts sanitaires éventuels liés aux expositions dans la bande 26 GHz. » dans un communiqué de fin janvier 2020.

Enfin, la Fédération Française des Télécoms a publié, sur son site internet, une foire aux questions très complètes sur les questions liées à l’impact du déploiement de la 5G sur la santé.

La 5g, ennemi de la planète ?

Il y a donc quelques semaines, en France, des élus de gauche et des écologistes ont appelé le gouvernement français à ralentir le développement de la 5G afin de prendre le temps de mener des études d’impact objectives et fiables sur la santé et l’environnement. Depuis de nombreux mois, les tenants et les détracteurs de la 5G s’affrontent sur les plateaux télé à coups d’arguments, d’avis, d’études scientifiques. Chacun avançant des arguments choisis, un consensus est encore loin d’être atteint.

 

 

Les arguments en faveur de la 5G tournent souvent autour de l’efficience de cette technologie qui permettrait, directement et indirectement, d’économiser des ressources. « La 5G nous donnera la capacité d’optimiser l’emploi des ressources et de piloter en temps réel la consommation d’énergie notamment des réseaux télécoms, expose Pierre Fortier (vice-président de Capgemini Invent) en précisant qu’« à nombre d’octets équivalent, la 5G est plus efficace que la 4G. Par exemple, sur le parvis de La Défense, l’optimisation énergétique pourra prendre en compte les pics capacitaires : la nuit, la puissance du réseau pourra être réduite, toutes les antennes n’auront plus besoin de fonctionner. » Selon Gilles Babinet, conseiller spécial pour le digital à l’Institut Montaigne, la 5G aura surtout des répercussions sur la productivité des entreprises : “la vaste majorité de ces technologies devraient donc être dévolues à un accroissement de la productivité. Mieux connaître la localisation des marchandises en transit pour éviter qu’elles arrivent plus vite, limitant les stocks d’autant. Optimiser les flux industriels dans les usines, réduisant les pertes et les besoins en énergie. Permettre aux agriculteurs de connaître le niveau précis d’humidité en eau du sol et arroser juste ce qu’il convient, évitant les gâchis en eau, etc.”

L’entreprise de télécommunication suédoise, Ericsson, travaille également à faire de la 5G une technologie économe en énergie. Pour cela, elle a édicté un cahier des charges “Breaking the Energy Curve” dans lequel elle fixe des objectifs à moyen terme permettant d’éviter ce qui s’est passé avec les générations précédentes (2G, 3G et 4G) à savoir une forte augmentation de la consommation énergétique.

De son côté, dans une interview accordée au Monde en septembre dernier, le secrétaire d’Etat au numérique Cedric O n’hésite pas à mobiliser des arguments écologistes pour défendre la 5G. Selon lui, « il faut être très clair : la 5G, c’est plus de débit, mais moins de consommation énergétique. A court terme, il est essentiel de comprendre que le réseau actuel sera bientôt saturé dans les grandes villes et que nous avons le choix entre la saturation ou des antennes 5G qui consomment dix fois moins d’énergie que les antennes 4G ». Afin d’éviter la saturation et d’encaisser l’explosion des objets connectés, le développement de la 5G serait non seulement inéluctable mais moins énergivore que sa prédécesseuse.

Schéma de Gauthier Roussilhe à propos du déploiement de la 5g

Source : Gauthier Roussilhe, auteur du rapport « La controverse 5G »

 

Les antennes MiMo sont au coeur des débats. Ces antennes, nous l’avons vu en première partie, seront réparties sur l’ensemble des territoires (10500 d’ici 2025 selon l’ARCEP) et permettront de folcaliser les fréquences radio vers les seuls utilisateurs et non, comme les antennes classiques, de diffuser de manière rayonnante les ondes même vers des endroits où elles ne sont pas nécessaires. Ces antennes doivent offrir un débit 10 fois supérieur, de façon très réactive et à davantage de personnes. Cette efficacité permet aux défenseurs de la cause 5G d’argumenter, comme le fait Cédric O, en faveur d’une 5G beaucoup plus efficace et efficiente et économe en énergie, à bande passante équivalente Comme le résume Orange, « la 5G sera plus efficace que la 4G s’agissant de la quantité de bits d’information délivrée pour une unité de consommation d’énergie donnée ». Cependant, ces antennes MiMo sont 4 à 5 fois plus consommatrices que celles liées aux anciennes générations comme le reconnait l’opérateur Orange. Au final, seul l’avenir nous dira qui, d’une meilleure efficacité ou d’une plus grande consommation absolue l’emportera. Pour l’heure, il est impossible de trancher sur l’existence, ou non, d’un effet rebond. C’est en partie la raison du moratoire demandé, en France, par les élus des grandes métropoles écologistes.

Comme pour l’impact sur la santé, les études sur l’impact environnemental de la 5G ne sont pas nombreux. Des sénateurs ont conduit une mission d’information sur l’empreinte environnementale du numérique. Au cours de leurs travaux, ils ont entendu début février le président du conseil d’administration de l’Agence de la transition écologique (Ademe), Arnaud Leroy. Celui-ci a réclamé « une étude d’impact environnemental sérieuse sur le déploiement de la 5G ». Dans son rapport, rendu fin juin, la mission du Sénat écrit qu’elle « regrette » cette lacune. Elle demande une évaluation « complète », sur l’ensemble de la chaîne technologique (de la fabrication à l’utilisation, des antennes aux smartphones). Mais sans accès aux données des constructeurs et des opérateurs, la mission s’avère très délicate. « Il faut disposer de données qui viennent des constructeurs d’équipements et ces données ont été très longues à obtenir. Elles sont arrivées il y a un peu moins d’un an en ce qui concerne la consommation énergétique », relève Hugues Ferreboeuf, directeur de projet au Shift Project.

Autre argument en défaveur de la 5G : le renouvellement des terminaux mobiles devenus obsolètes (les Français renouvelleraient leur smartphone tous les 23 mois). Comme pour la 4G à l’époque, les smartphones et la majorité des terminaux ne sont pas compatibles avec la nouvelle génération de technologie de télécommunication. On risque donc, dans les années à venir, de voir un renouvellement massif de la part des usagers vers de nouveaux terminaux dont le coût environnemental lors de leur production est très important. Comme l’ont exprimé les signataires de la tribune réclamant un moratoire : « Le déploiement de la 5G va exponentiellement accélérer l’exploitation de ressources naturelles non renouvelables, la pollution due à l’extraction des métaux rares, et la génération de quantité de déchets pas ou peu recyclables ». Un smartphone est composé de plus de 70 matériaux différents, dont des métaux rares. Il consommerait à lui seul, près de 10% de la production mondiale de cobalt.

De son côté, la pépite française Wupatec compte industrialiser une technologie radiofréquence unique qui réduirait de moitié la consommation d’énergie des réseaux 5G. Son innovation intéresse à la fois des équipementiers télécoms et des fabricants de puces radio. En janvier dernier, elle annoncée une levée de fonds de 3 millions d’euros pour industrialiser son innovation.

La question de la cybersécurité

Le dernier sujet qui fait l’objet de controverses et de polémiques concernent la sensibilité de la 5G à des attaques et des cybermenaces. L’extrême complexité de son infrastructure et la forte virtualisation qu’elle va engendrer sont autant de portes d’entrée pour les pirates. Selon des chercheurs, il existerait onze vulnérabilités exploitables sur le réseau 5G : de l’obtention de la localisation d’un appareil à l’envoi de faux messages d’alerte. L’explosion des objets connectés (12 miliards en 2022 contre 9 milliards en 2017 selon Cisco et des connexions mobiles (422 millions en 2022) seront un point sensible.

La virtualisation des réseaux est également au centre de toutes les craintes puisqu’avec la 5G toutes les connexions seront virtuelles entraînant de fait une absence de contrôle physique. Le cœur de réseau 5G, à savoir l’ensemble des supports de transmission ne seront plus portés par des équipements physiques (comme c’était encore le cas pour la 4G) mais pris en charge par des logiciels, ceux-là même qui seront la cible prioritaire des hackers. Et l’on peut aisément envisager les conséquences d’une cyber-attaque sur une voiture autonome, des objets de santé connectés ou des sites industriels.

Cette question de la cybersécurité doit donc être intégrée dans les projets de déploiement de la 5G dès leur origine afin que celui-ci puisse être en permanence modifiable en fonction du degré de menaces.

Au niveau des Etats, cette question est prise très au sérieux. Au-delà du cas Huawei mentionné plus tôt, tous travaillent à établir des normes et à renforcer les équipes pour minimiser les risques. L’Union Européenne travaille de manière coordonnée à une boite à outils (toolbox) visant à renforcer la sécurité des infrastructures et des réseaux en vue du déploiement de la 5G sur le territoire. Pour cela, elle a établi une liste de 18 indicateurs relevant à la fois de mesures stratégiques (comme par exemple, renforcer le rôle des autorités nationales, établir un profil risque des opérateurs, renforcer la résilience au niveau national, etc.) et de mesures techniques (assurer l’application des recommandations de sécurité, renforcer la sécurité des réseaux virtualisés, renforcer la sécurité physique, etc.) permettant d’évaluer l’état d’avancement du travail réalisé.

Comme l’a souligné Thierry Breton, le commissaire européen au marché intérieur “ Il est plus important que jamais d’assurer un niveau élevé de sécurité lors du déploiement des réseaux de 5G dans l’UE au vu des besoins croissants en infrastructures numériques de nos économies, comme l’a démontré la crise du coronavirus. En coopération avec les États membres, nous nous engageons à mettre en place des mesures fiables, coordonnées, non seulement pour assurer la cybersécurité de la 5G, mais aussi pour renforcer notre autonomie technologique. Le rapport publié réaffirme notre engagement et définit les domaines dans lesquels des efforts et une vigilance accrue sont nécessaires.” Si le travail restant à accomplir est encore important, l’UE note que des progrès ont été réalisés notamment dans la réalisation des profils-risque des opérateurs ou dans les exigences de résilience fixées pour chaque pays.

 


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